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De la notation à l’évaluation
Accompagner les élèves dans leurs apprentissages et se défaire petit à petit d’une notation qui sanctionne.
Au début de ma carrière, j’avais du mal à envisager l’évaluation formative. Il m’arrivait même d’improviser une évaluation sommative autour des notions techniques abordées au cours de la séquence, dans le but d’avoir une note supplémentaire d’un point de vue institutionnel. C’était donc une évaluation  qui portait sur des notions souvent traitées une seule fois, à partir d’exercices décontextualisés de la séquence ( connotations, champs lexicaux, caractérisation d’un personnage, variation de points de vue ). Aujourd’hui, je ne pourrais plus fonctionner de cette manière, mes pratiques évaluatives et mon regard sur l’élève ayant profondément évolué. L’élève n’est plus, à mon sens, le seul responsable de ses mauvaises notes, parce qu’il n’aurait pas fait preuve de volonté suffisante. C’est au professeur aussi de faire en sorte qu’une notion soit le plus possible réinvestie au cours de la séquence, quitte à sacrifier d’autres savoirs qui paraissaient tout aussi importants.  En ce sens, je me considère de plus en plus comme une accompagnatrice des apprentissages de l’élève, au point que l’évaluation globale et chiffrée est devenue pour moi un problème.

Accorder une place plus grande à l’évaluation formative
Si je prends l’exemple de « la scène de 1ère rencontre » - lieu commun incontournable du roman où l’on assiste à la rencontre amoureuse de deux personnages - que je mène en seconde en début d’année, je constate qu’elle s’est considérablement allongée et modifiée. Avant ce qui était au centre des apprentissages, c’était l’analyse des textes, et l’évaluation finale consistait à analyser un autre texte du même type et à produire à l’écrit une scène de rencontre amoureuse. Il n’y avait pas d’évaluation intermédiaire qui permette à l’élève de faire un premier point sur ses erreurs afin de mieux réussir l’évaluation finale, et je considérais qu’il était légitime de ma part de lui demander à la fin de la séquence, sans véritable préparation préalable, une écriture d’invention. Ainsi, lors de la remise des contrôles, je pouvais justifier la très mauvaise note d’Azzedine qui avait écrit une scène de drague  se prolongeant sur plusieurs jours, plutôt qu’une rencontre amoureuse basée sur le jeu des regards et la magie de l’instant. Il est à noter que ces pratiques évaluatives sont indissociables de l’image prof que je me suis construite : une autorité basée sur l’évaluation sanction, et une légitimité qui découle du fait qu’il y ait bien seulement un tiers des élèves à avoir la moyenne en français au 1er trimestre, corroborant, par ailleurs, ce qu’on leur a tellement dit à la fin de la 3ème Vos notes vont baisser !
Donner du sens aux notions littéraires
Progressivement, j’ai centré la séquence sur la question du point de vue, sans tomber dans des exercices trop techniques. Ce décentrage, au détriment de la lecture analytique, laquelle est toujours pratiquée mais de façon plus succincte, m’a incitée à ne plus faire de la notion de point de vue  une notion uniquement textuelle, un savoir scolaire. Généralement, les élèves connaissent par cœur les trois points de vue possibles dans un texte ( interne, externe, omniscient ), sans en saisir les enjeux véritables au niveau  de l’interprétation.  Là, au contraire,  je n’ai travaillé que la focalisation interne au détriment des autres focalisations afin qu’ils comprennent que le point de vue, s’il ne relève que d’un seul personnage,  exclut l’autre, voire manipule, et qu’il peut  être lié à des enjeux de pouvoir. J’ai donc introduit un débat autour de la passion amoureuse, en prenant soin d’abord de partir de leurs représentations : quelle différence font-ils entre l’amour et la passion ? Le débat consiste ensuite à les mettre face à leurs contradictions. Pour l’affaire Cantat/Trintignant, la réponse à la question de savoir qui est la victime est  claire. La même question sur la mort de Carmen amène une autre réponse, problématique cette fois-ci. Il est alors judicieux, à ce moment précis, de les inviter à rectifier leur point de vue en cherchant dans le texte. Du coup, l’analyse du texte a été motivée par la réactivation d’une notion devenue plus vivante, permettant par là même de nourrir le débat.
Travailler par compétences
C’est donc à partir de cette expérience que j’ai pris conscience que je cherchais à enseigner autrement : pas une série de lectures analytiques qui s’enchaînent les unes derrière les autres avec le traditionnel rituel questions-réponses, mais le désir que les élèves utilisent une connaissance ou une capacité dans une situation nouvelle qui ne soit pas strictement scolaire, en lien si possible avec la vie. N’étais-je pas, sans le savoir, en train de cheminer vers la notion de « compétence » ? Ainsi, j’ai mis en place un travail autour de certaines compétences écrites, qui prennent du temps, comme savoir réinvestir les éléments d’analyse vus en cours à partir d’une question. Compétence difficile qu’il faudrait travailler toute l’année.  De même, j’envisage désormais l’écriture d’invention comme un processus, un travail par étapes. J’en suis donc venue  à transformer l’évaluation finale en évaluation diagnostic afin que les élèves prennent conscience de ce qu’ils ne maîtrisent pas, avec possibilité d’y remédier. Prise de conscience alors de l’importance du jeu des regards, du portrait, de la description, bref de tous les critères qui font qu’il y a bien une scène de 1ère rencontre. Mais je ne voulais pas non plus me contenter d’identifier avec eux les bons critères. En module, le portrait d’un personnage mené par un point de vue interne a été travaillé. Une fiche de vocabulaire a été distribuée afin qu’ils fassent un portrait plus riche et varié. Ils pouvaient même apporter l’image d’une personnalité artistique qu’ils apprécient pour stimuler leur travail d’écriture, ce qui les a fait rire ! Du coup, le mode d’évaluation change, c’est surtout leur capacité à faire un portrait qui est évalué.
Le sujet d’invention : une pratique normative qu’il faut questionner
Il n’en reste pas moins que le problème de l’expression n’est pas résolu : comment faire pour le passé simple ? Là, je n’avais pas vraiment le temps, et si une séance y a été quand même consacrée,  c’était surtout pour me donner bonne conscience afin de justifier les points que je retire. Finalement, dois-je ou non pénaliser les erreurs des temps verbaux, à partir du moment où je ne l’ai pas vraiment fait travailler ? Dois-je considérer que ça devrait être acquis de toute façon ?  Bien sûr, j’ai pénalisé l’expression quand elle n’était pas correcte, mais elle n’a pas compté cette fois-ci pour plus d’un tiers des points, comme c’est le cas pour le sujet d’invention au bac.  A partir du moment où les critères de la scène de 1ère rencontre ont été travaillés et clairement identifiés,  il y avait d’autres compétences à évaluer que celle de l’expression.  D’ailleurs, les compétences sollicitées lors de cette séquence ont été mieux acquises. Avec le même profil d’élèves, plus de la moitié de la classe a eu la moyenne, ce qui n’est pas sans susciter un léger malaise en moi. Est-ce crédible du point de vue de l’institution que des élèves de seconde de lycée ZEP aient une moyenne correcte en français ?
Je pourrais à présent résumer mes pratiques éducatives en quelques mots : importance plus grande accordée à l’évaluation formative, à un processus en cours qui permet de construire avec l’élève une relation d’accompagnement, où paradoxalement s’il est noté, il n’est pas jugé pour autant. Qu’il est loin le temps où je classais les copies de la note la plus faible à la note la plus élevée ! Je reste, d’autre part, persuadée qu’on peut supprimer l’évaluation chiffrée comme me l’a prouvé récemment mon expérience des ateliers d’écriture menés en accompagnement personnalisé.