Document du Dimanche 10 Avril 2016 - 18:34
Lectures pédagogiques ou pas, "lectures plaisir" en tout cas !
"En Pédagogie, chemin faisant" de Jeanne Moll

En pédagogie, chemin faisant… de Jeanne Moll, est un recueil d'articles
dont certains parurent dans les Cahiers pédagogiques, étalés sur une
période de plus de vingt ans. Un grand livre, dont certains articles
marquent le lecteur, comme " des effets du regard"…
En attendant la recension qui ne tardera pas sur le site du CRAP, quelques
citations tirées de l'ouvrage :

"L’esprit qui traverse la méthode est empreint de foi en l’humain, en le
jeune, qu’en dépit des vicissitudes diverses qu’il a pu connaître, on
ne peut abandonner sur le bord de la route." Cet esprit participe pour moi
d’une éthique de la responsabilité dont je sais, pour avoir collaboré
parfois à leurs travaux, que les gens du CRAP (Cercle de recherche et
d’action pédagogique) la partagent également.

Dans l’espace de la classe, les professeurs et les élèves ne sont pas
seuls en scène ; les adultes retrouvent en face d’eux des enfants ou des
adolescents réels mais, en même temps, les enfants et les adolescents
qu’eux-mêmes ont été, plus exactement l’image d’eux-mêmes qu’ils
ont aimée ou détestée. De leur côté, les jeunes transfèrent sur les
adultes qui représentent l’autorité, toutes sortes de motions affectives,
le plus souvent ambivalentes, qui étaient à l’origine adressées à
d’autres.

L’importance du regard que pose l’enseignant sur l’élève, sur ce
qu’il appelle parfois la masse de la classe, conjugué aux paroles qu’il
adresse aux uns et aux autres, est-elle encore à démontrer ? Oui, sans
doute, si l’on songe à tout ce qui se dit et se répète dans les salles
de professeurs, et surtout à ce que garde la mémoire vive d’innombrables
anciens élèves.

Se vivre comme non valable aux yeux d’autrui est insupportable et
douloureux, d’où la quête intempestive de valeur et de pouvoir au travers
de l’arrogance et des attitudes de défi. Le regard dévalorisant des
adultes les a comme pétrifiés à l’intérieur. Ils cessaient bien de
temps à autre, avec un professeur particulièrement attentif à leur
personne, de faire des efforts, mais dès que celui-ci n’est plus là pour
les soutenir, pour leur renvoyer une image positive d’eux-mêmes, ils
retombent dans la résignation et souvent aussi la honte. On n’y pense pas
suffisamment.

Je suis noué aux autres avant d’être noué à mon corps. (Lévinas, cité
par Moll, 2015, p. 150)

Pouvons-nous encore faire semblant, à l’école et en formation, de
n’avoir à faire qu’à des intelligences, alors que la subjectivité
revendique partout d’être reconnue ?

Que faut-il faire ? demandent souvent les enseignants, surtout les jeunes.
D’abord savoir ce qu’il ne faut pas faire, se garder de traiter l’autre
comme un objet, de s’en moquer, de l’humilier… et puis, je ne sais pas,
chercher, continuer d’apprendre pour rester vivant. Apprendre à se faire
chercheur de soi, à questionner les évidences, à devenir un « praticien
réflexif ». Apprendre à supposer l’incertitude, l’imprévisible,
l’inachevé inhérent à l’humain ; apprendre à regarder l’autre comme
un sujet de désir et de parole, à le laisser advenir, pour le formateur
aussi qui peut se laisser prendre au piège de vouloir « donner l’être et
la forme ». Cela exige beaucoup de temps et implique d’apprendre d’abord
à se déprendre de son vouloir titanesque en face de l’autre.

Là où règnent des rapports de force où l’un s’astreint à vaincre
l’autre, là où il n’y a pas de place pour l’élève et son désir,
aucune rencontre ne peut advenir.

Qu'est-ce qui a le plus de prix à mes yeux et que je ne veux pas sacrifier ?
Est-ce l'humain et son développement, d'où le respect inconditionnel à
l'égard des jeunes, la responsabilité de leur devenir et le devoir
d'accompagnement, de solidarité, y compris avec les plus petits, les plus
démunis, les plus en échec ? Ou est-ce mon seul plaisir, ma réussite
individuelle, mon prestige, mon pouvoir ? Et puisque j'ai choisi le métier
d'éduquer, sur quelles théories de l'enfant, de l'apprentissage et de
l'enseignement est-ce que je me fonde pour proposer telle méthode ou telle
technique ? Quelle part est-ce que j'accorde l'a affectivité dans le
développement de l'intelligence ? Suis-je du côté des rationalistes, de
cognitives qui ne se souvient que d'intelligences ou est-ce que je tiens
compte de la globalité de l'élève qui est aussi un enfant, un adolescent
inscrit dans une histoire psychosociale complexe ?

[…] Chaque enfant a au fond de lui le souci de sa croissance, qu’il est
porteur d’une dimension intacte, d’un vouloir grandir et que surtout il a
besoin d’être reconnu comme quelqu’un ayant de la valeur.

  • Jean-Charles Léon (Professeur de musique, Saint-Germain sur Morin (77))