Document du Jeudi 11 Février 2016 - 20:12
Réussir l'école inclusive
Gagner de l'autonomie

Comment accompagner en maths-sciences des élèves de seconde professionnelle en situation de handicap vers plus d’autonomie ?
Cette question s’est posée à moi l’année dernière car il ressortait des évaluations diagnostiques et des observations faites en classe que les difficultés de ces élèves ne relevaient pas tant des savoirs théoriques en mathématiques et sciences, majoritairement maîtrisés, que de leur manque d’autonomie. Cette capacité est également un élément essentiel pour permettre aux élèves d’accéder à la démarche scientifique d’investigation, comme le prescrit le programme de mathématiques - sciences physiques et chimie du baccalauréat professionnel.
J’ai donc mené une expérimentation dans une classe de 29 élèves de seconde  professionnelle électrotechnique qui accueille 5 jeunes en situation de handicap et 5 jeunes pour lesquels un trouble des apprentissages a été diagnostiqué. Le but était de voir en quoi un étayage méthodologique, basé sur la métacognition, permettrait aux élèves de gagner en autonomie et de s’approprier une méthode d’accès à la démarche d’investigation.

Méthodologie des apprentissages
Dans un premier temps, nous avons proposé un étayage méthodologique, réalisé en équipe, qui invite l’élève à prendre conscience de ses processus d’apprentissages. Nous avons travaillé sur la pédagogie des gestes mentaux, sur les différents profils d’apprentissages ainsi que sur la découverte des phases de l’apprentissage, qui réhabilite le doute et l’erreur dans la construction des savoirs.
J’ai réalisé un diaporama sur le thème  «Apprendre à apprendre». Le but de cette présentation, qui a donné lieu à un débat avec les élèves, était de casser certaines idées reçues afin de se débarrasser d’un fatalisme qui englue les élèves dans l’échec et les empêche de se mettre en projet d’apprendre.
Voici un extrait du diaporama « Apprendre à apprendre » que nous avons visionné avec les élèves. Des exercices sur les techniques de mémorisation, sur le concept de l’évocation et l’image mentale ont été proposés. La notion de plaisir et d’appropriation du savoir a ainsi été mise en avant.

Un travail a aussi été proposé avec pour but de dédramatiser les mots « apprendre » et « autonomie » et de construire une vision commune à partir des idées de chacun.
Les élèves se répartissent par groupe de 5. Sur une bande de papier chaque élève inscrit le mot qui, pour lui, définit au mieux ce dont on a besoin pour apprendre (ou pour être autonome, concept abordé dans un deuxième temps). Ensuite chaque élève explique aux autres membres du groupe pourquoi il a choisi ce mot. Enfin, tous organisent les différentes bandes de papier en les collant autour du mot principal qu’ils écrivent sur une affiche qui est ensuite présentée aux autres groupes. Nous pouvons alors confronter et comparer les différents travaux.

L’autonomie,  ça se construit
L’enseignement ne peut plus être conçu comme un simple transfert de connaissances du professeur vers l’élève. Les élèves d’aujourd’hui ont besoin de donner du sens à ce qu’ils font et d’expérimenter par eux-mêmes, de s’approprier consciemment les savoirs.
Prendre confiance en soi, c’est acquérir la conviction qu’on est capable de faire les choses par soi même et de les faire correctement. Ainsi l’estime de soi passe par l’autonomisation. Autonomiser,  c’est encourager l’élève à faire des choix et lui montrer par là la confiance que l’on a en lui et l’importance que l’on accorde à son avis.
Travailler en autonomie ne veut pas dire travailler seul. C’est le cadre et l’environnement sécurisant construits par l’enseignant qui produisent la motivation, la confiance en soi, le désir de réussir et de progresser, des attitudes fondamentales pour accéder à l’autonomie. C’est pourquoi j’ai choisi de m’appuyer sur quatre principes pour élaborer un système d’enseignement favorisant l’autonomie.

Rendre le travail accessible et autoriser des choix
Afin de tenir compte des différents profils des élèves, j’ai choisi de varier les supports de cours (projection de vidéos en classe, travail en salle informatique, au CDI, en groupe, expérimentations, etc.) en utilisant la police  . DYSLEXIE
Pour susciter leur intérêt, je propose pour chaque chapitre une situation qui invite au débat, avec une accroche proche des centres d’intérêt des élèves.
Ensuite, afin de les rendre responsables de leurs apprentissages, les élèves ont le choix pour certains exercices, ou pour des évaluations formatives, entre le parcours Tigre (forte guidance) et le parcours Guépard (moindre guidance) qui portent sur le même travail.
Enfin, en évaluation sommative, des jokers sont proposés ainsi que des exercices Bonus.
L’accent est ainsi mis sur la marge de choix des élèves afin de favoriser leur motivation. La prise de risque est encouragée pour permettre aux élèves de bien positionner leur niveau par rapport au travail demandé.

Définir clairement les objectifs d’apprentissages
Dire aux élèves ce que l’on apprend : ce que l’on appelle la pédagogie explicite
* Les objectifs sont donnés sur la page de couverture des différents livrets des leçons.
* Une liste des objectifs évalués lors de l’évaluation sommative est fournie aux élèves pour orienter leurs révisions.

* Un tableau synthèse avec les objectifs, acquis ou non, est rendu à l’élève suite aux évaluations. Une remédiation ciblée entre pairs est ensuite proposée.

Impliquer les élèves dans l’élaboration des cours
Les élèves peuvent aider à la construction d’une unité d’apprentissage.
Un travail de groupe a été proposé sur le chapitre du son en sciences.
5 groupes ont préparé au CDI une partie de la leçon (introduction, leçon, TP, exercices et évaluation). Une mise en commun a permis de présenter un livret de cours complet, qui a ensuite était traité en classe.

Évaluer positivement
* Les questionnaires de préparation avant évaluation permettent :
- De visualiser les attendus et cibler les points clés du cours.
- De dédramatiser l’évaluation.
* Les questionnaires de bilan après évaluation permettent :
- Un regard sur la préparation de l’évaluation : être capable de juger si les stratégies choisies étaient les bonnes et comment réajuster dans le cas contraire.
- De porter un jugement sur son travail en estimant sa note.

* Les objectifs de l’évaluation sont clairement définis et donnés à l’avance : la préparation peut donc se faire plus sereinement et efficacement par les élèves.

*  Les évaluations sont les mêmes pour tous : il n’y a pas stigmatisation de ceux qui sont en difficulté.

*  Des jokers sont à disposition et du temps supplémentaire est également proposé à tous, et cela sans pénalités. Toutefois, cela sera noté dans les objectifs transversaux afin de motiver les élèves à gagner en autonomie. Ce « coût » signifie que l’aide n’est pas une béquille gratuite dont on pourrait se contenter à long terme, mais une aide temporaire qui permet de réussir à sa mesure.
Les jokers leur offre un parcours de réussite dynamique qui leur donne la possibilité d’aller plus loin qu’ils ne l’auraient fait dans une situation classique d’évaluation. Chaque élève a sa part d’autodétermination : il décide lui-même s’il va demander ou non une aide.
*  On propose une remédiation aux élèves qui en font la demande. De plus, un rattrapage de l’évaluation est possible sous forme de devoir maison.
Cette façon d’évaluer nous  positionne dans la zone proximale de développement de l’élève telle que Lev Vygostky la concevait : rendre la tâche accessible pour l’élève afin de  l’inscrire dans une démarche de progrès.

La classe CARE, un privilège
(CARE : Classe favorisant l’Autonomie et la Responsabilité des Elèves avec la connotation « care » pour « prendre soin de »)
Les enseignants ont constaté plusieurs points positifs : une classe sereine, avec des élèves plus volontaires et qui prennent l’initiative de chercher et de poser les questions. Le travail en groupe semble bien installé et les élèves en situation de handicap ont trouvé leur place au sein de la classe. Les élèves considèrent comme un privilège le fait d’être scolarisé en classe CARE .
Notre finalité est d’aider les élèves à gagner en autonomie et à être acteur dans leur apprentissage pour développer leurs capacités à mener un raisonnement. Cela leur permettra aussi d’oser expérimenter et d’entrer dans une démarche d’investigation.

La démarche d’investigation
Pour « s’aventurer » dans la démarche scientifique d’investigation, il faut pouvoir en amont développer l'autonomie et les capacités métacognitives des élèves. La liberté de décision, de choix, de contrôle laissé à l'élève sur sa formation favorise le développement de la métacognition. En effet, pour apprendre, il faut pouvoir se tromper, et pour pouvoir se tromper, il faut pouvoir faire des choix. Un travail individuel, puis en groupe a été mené pour construire ensemble les étapes de la démarche d’investigation.

Cette construction prendra tout son sens au terme des 3 années de baccalauréat professionnel. Il est encore trop tôt pour parler d’autonomie, mais nous avons commencé à poser les bases et à voir concrètement un effet bénéfique au niveau de la prise de risque, du travail en autonomie, et du travail collaboratif.
De plus, il faudra étayer au niveau du passage à l’écrit afin d’aider les élèves à exprimer leurs idées. Nous pouvons faire par exemple un bilan avec les élèves des attentes que l’on peut avoir pour un compte-rendu, pour la rédaction d’hypothèses et de conclusions.
Cette expérimentation, basée sur la différenciation, m’a permis de rendre les cours accessibles, de redonner confiance aux jeunes pour qu’ils retrouvent le plaisir d’apprendre. Et tout simplement de voir en chaque jeune la possibilité de progresser, de s’épanouir, de grandir. Aller vers l’autre et l’accompagner, c’est ça pour moi, l’école inclusive.

Laurence AVY
Professeure de mathématiques et sciences en LP, titulaire du 2CA-SH

  • Évelyne Clavier (Enseignante dans l'académie de Paris )