Document du Dimanche 2 Février 2014 - 16:24
Ce qui fait changer un établissement
Des équilibristes, un balancier

Le métier d’enseignant est de plus en plus complexe (dans le sens de « composé de missions diverses en synergie ») et pour cette raison de plus en plus passionnant et exigeant. Je voudrais mettre l’accent sur une dimension souterraine qui me parait essentielle et qui explique, à mon avis, pourquoi le métier est aussi difficile. Je veux parler de la constante recherche d’équilibres précaires.

Le docteur Revol disait devant moi à une mère qui l’interrogeait sur les recettes qui permettent d’élever un adolescent équilibré, « Mais madame il n’y a pas d’adolescents équilibrés, il n’y a que des équilibristes. » Nous partageons cela avec notre public, nous sommes en recherche perpétuelle d’équilibre face à eux :
• Avoir le souci constant de les valoriser, mais les évaluer sans démagogie pour les amener sur leurs terrains de progrès sans les décourager.
• Sécuriser par des rituels, des processus répétés qui sécurisent et créent de la complicité pédagogique, mais surprendre sans cesse pour ne pas lasser et continuer de capter l’intérêt et l’attention.
• Se montrer bienveillant sans renoncer à l’exigence, preuve de respect pour le jeune et de confiance en ses capacités. Certains pensent les aider en leur proposant des exercices simplissimes, sans enjeu valorisant, des contenus basiques, mais on se rend vite compte qu’ils perçoivent cette facilité comme du mépris alors qu’ils peuvent nous surprendre et se montrer brillants sur des objectifs plus ambitieux.
• Écouter sans renoncer à cadrer. Ce n’est pas parce qu’ils rencontrent des difficultés personnelles ou scolaires qu’ils peuvent se dispenser de respecter les règles de vie en société. On le voit bien dans les derniers résultats Pisa : la discipline dans les classes françaises s’est considérablement détériorée depuis dix ans et cela entraine des difficultés d’apprentissage, particulièrement pour les plus fragiles.

On ne redira jamais assez combien la formation initiale, la formation continue et l’analyse des pratiques sont indispensables pour exercer ce métier avec un minimum de sérénité. J’ai eu la chance d’être accompagnée durant vingt ans de ma carrière par un groupe d’analyse des pratiques. C’est un maillon primordial de la mise en continuum de la formation des enseignants. Dans un groupe fondé sur la solidarité, le respect, l’authenticité, on peut s’exposer et parler de sa pratique pour mettre les émotions à distance, analyser, comprendre pour transformer, déplacer ses représentations en se frottant à d’autres points de vue, en découvrant les connaissances acquises par les autres à travers des lectures, des stages, des colloques, en élargissant la palette des possibles. Le groupe qui se réunit régulièrement dans la durée est « contenant » et sécurisant. Je me sentais accompagnée aussi entre deux sessions parce que je savais que je pourrais déposer le fardeau, explorer la question, travailler sur mes difficultés dans un climat de confiance à la prochaine rencontre, voire par téléphone avec un des participants ou l’animateur en cas d’urgence. À force d’analyser des moments clés de sa pratique et de celle des autres on observe une évolution majorante de ses dispositions à réagir spontanément en situation, lors de cette multitude de microdécisions à prendre dans la classe. C’est pourquoi on peut dire que les groupes d’analyse des pratiques induisent de la formation et du confort.

Un équilibriste sans balancier se met en danger.

  • Nicole Bouin (Co-organisatrice des rencontres )