Document du Lundi 4 Septembre 2017 - 10:42
Réussir la rentrée scolaire
C'est la rentrée , fiction surprenante

 

il y a quelques années, Librio avait édité un recueil sur la "rentrée". J'avais beaucoup aimé le texte dont j'ai enlevé la fin. Je l'avais cité sur le site il y a quelque temps et j'avais eu beaucoup de demandes de ce texte introuvable. Je ne mets pas la fin pour faire chercher, mais je l'enverrai sur demande, car il faut chercher la solution. Un très bon texte pour faire faire des hypothèses de lecture, cycle 4, mais pourquoi pas avant?

 

"Conscience professionnelle
(Daniel Zimmermann, recueil de nouvelles « C’est la rentrée », Librio, 1997)

- Demain c'est la rentrée, Minette. Alors tu comprends, il faut que nous allions nous coucher de bonne heure.
La chatte est lovée sur les genoux de M. Morin. Ses oreilles tressautent, spasmodiques, son maître lui parle si rarement. Le feu de bois brûle, clair, dans la grande cheminée, illumine de clartés douces et dansantes la spacieuse salle aux poutres apparentes. De l'index, M. Morin caresse la chatte entre les oreilles, elle ronronne, le pur bonheur. Allons au lit, demain il y a école!
Étendu sur le dos, la chatte démesurément longue sur sa poitrine et son ventre,
M. Morin révise mentalement le déroulement de la journée de demain. D'abord l'accueil de ses nouveaux élèves., A peine souriant, infléchissant dans les graves sa voix de baryton bien posée, il leur exprimera ses souhaits d'une heureuse année scolaire, capitale néanmoins, le cours moyen est déterminant pour l'entrée au collège.
Autrefois, au début de sa carrière, les veilles de rentrée étaient pour lui source d'angoisse et de cauchemars. Le directeur lui apprenait qu'il était muté in extremis. L'inspecteur lui reprochait son manque de discipline. Le ministre le révoquait pour pédophilie. Les enfants ne l'écoutaient pas, ou s'évanouissaient dans la nature. Maintenant il est sûr de son métier. Il dort sans rêves.
Le réveil sonne. Six heures trente, il allume une bougie. il se lève, frissonne, désormais l'hiver est précoce sur la Côte d'Azur. Il est pénible de se doucher et de se raser à l'eau froide, néanmoins, s'il veut sans rougir inculquer de sains principes hygiénistes à ses chères têtes blondes, il se doit de les appliquer à lui-même.
Il ouvre un berlingot de lait, périmé, mais qu'importe, en partage inégalitairement le contenu entre la chatte et lui. Il hésite, enfin, aujourd'hui il peut quand même se permettre une folie, il entame son dernier paquet de biscuits.
Il sort, emmitouflé. Le jour se lève. Personne dans les rues. Ni dans la cour de l'école Jules-Ferry. A leur habitude, le directeur et les collègues n'arriveront pas avant huit heures. Il est plaisant d'être seul dans l'immense bâtiment en brique rouge, à trois étages, symbole éclatant de l'effort éducatif accompli par la IIIe République. En même temps, M. Morin éprouve une certaine nostalgie à se retrouver dans une salle de classe à l'image de celle qu'il connut dans son enfance. Au fond, le poêle à bois et la pile de bûches, à utiliser avec parcimonie quand surviendront les grands gels. Les trois rangées de bureaux dénichés dans une réserve municipale, bancs étroits, pupitres rabattables, encriers de faïence blanche en haut à droite. Avec componction, M. Morin les emplit d'encre violette.
A chacune des trente places il dispose de façon harmonieuse les fournitures scolaires, porte-plumes munis d'une Sergent-major, buvards, crayons noirs et rouges, cahiers neufs et livres divers, il laissera dix minutes aux élèves pour tripoter ces trésors. Ensuite la leçon de morale. Il monte sur l'estrade, saisit un bâton de craie, écrit la date au tableau: Jeudi 4 septembre 2001, avec pleins et déliés, puis la maxime du jour: La paresse est mère de tous les vices, qu'il paraphrasera durant un quart d'heure, en démarrant sur une note d'humour.
Il s'assoit à sa chaire surélevée, consulte ses fiches de préparation, impeccables, en quelle année déjà M. l'inspecteur lui en avait-il fait grand compliment ? Il va à la fenêtre, la cour est toujours vide. Huit heures quinze, un début de panique, accélération cardiaque, sueurs froides, il s'éponge le front. La sonnerie de huit heures trente, stridente, il ferme les yeux, elle cesse, il les rouvre, nul miracle."

  • Jean-Michel Zakhartchouk (enseignant dans l'Oise et rédacteur cahiers pédagogiques)