Document du Mercredi 18 Janvier 2017 - 16:30
Le nouveau prof se pose des questions...et attend des réponses!
Surtout, ne pas bouger ! PISA : une mesure de l’immobilisme.

PISA, décembre 2016, vient de publier sa dernière enquête, effectuée en 2015, sur le niveau des élèves parmi tous les pays de l’OCDE. La France, une fois de plus, affiche des scores en sciences considérés comme « mauvais », au regard de la moyenne des pays de l’OCDE (France 495 en mathématiques et OCDE 493 ; France 499 en compréhension de textes et 493 pour l’OCDE)(1) . Maintenant, et pour les trois ans à venir, professionnels, experts, chercheurs, du monde de l’éducation français vont s’emparer de ces résultats et les commenter. Comme une éternelle litanie, cela a commencé depuis ces quelques semaines, dès la publication des résultats de l’enquête, les commentaires accablant le niveau des élèves se sont installés.

En 1989, Christian Baudelot et Roger Establet écrivaient « Le niveau monte »(2) . Cet ouvrage tente de comprendre ce que les enseignants semblent toujours vouloir critiquer par « le niveau des élèves ». Cette critique est essentiellement négative et ne souffre d’aucune remise en cause. Ainsi, au dessus des différents niveaux (niveau en orthographe, niveau en mathématiques, etc…) il y aurait le Niveau, avec un grand « N », principalement attaqué, pointé du doigt et qui, aux yeux des enseignants, est en baisse constante et ne monte jamais. Pourtant, comme s’en étonnent Baudelot et Establet, nous (notre système) formons toujours de plus en plus d’ingénieurs et de chercheurs ! Alors, formerions-nous des incapables ? Si tel est le cas il est important de se demander « A quoi sert de scolariser à si grands frais une fraction substantielle [tous ces jeunes] de la population qui semble n’en retirer aucun bénéfice » (Baudelot et Establet, 1989, p.40) ? Obnubilés par notre souci du rendement, de la culture des résultats, nous en oublions les questions essentielles et nous concentrons nos regards sur ce que notre société occidentale considère comme des disciplines prestigieuses : les sciences…voire plus particulièrement les mathématiques. De plus, les résultats dans ces disciplines sont associés à une réussite scolaire des élèves, tout au moins elle n’en apparaît que plus réussie, si le niveau de l’élève en mathématiques est jugé « bon ».Nous savons, comme nous le rappellent Baudelot et Establet, que les sciences, plus particulièrement les mathématiques, sont les disciplines scolaires les mieux considérées « C’est un trait commun des pays occidentaux depuis le XIXè siècle que de valoriser progressivement les sciences exactes et notamment les mathématiques » (Id p. 103). Il s’agit là d’un choix de société, privilégiant ce que Martha Nussbaum(3)  appelle « education for profit » en opposition à une « education for democracy ». Un choix qui met en avant le souci de compétition économique, de concurrence, quitte à écraser ou déclasser son voisin. Certes, les beaux discours de premier plan se parent de jolis mots (égalité, fraternité, respect,…), mais qu’en est-il dans la réalité quand notre système éduque et encourage à plus, toujours plus, de compétition ? Une autre éducation, un autre modèle éducatif est-il possible ? Il n’est pas question ici de dénigrer cet esprit de compétition qui peut transporter et élever l’individu dans une quête personnelle, mais juste de rappeler que cette compétition doit être un choix personnel et non collectif. Nos sociétés semblent avoir le souci de la formation du citoyen, d’une recherche de plus d’égalité. Nos sociétés veulent édifier l’Homme réflexif, au sens d’un citoyen éclairé dans sa relation à la démocratie. Or, rien dans nos programmes scolaires, nos évaluations nationales et internationales, questionne le souci du bien être à l’école. La place accordée aux humanités, aux arts, est réduite à une peinture de façade qui très vite se craquèle et laisse apparaitre toutes les failles, comme autant de plaies qu’on ne cherche à soigner. Notre système en souffre et se fracture chaque jour un peu plus. Deux années scolaires, soit 57 points du score obtenu par un français dans l’enquête PISA(4) , séparent un élève de milieu défavorisé à celui de milieu favorisé. Mais à y réfléchir de plus près que nous dit PISA ? Souhaitons nous voir une réalité, ou nous bercer de convictions et présupposés ? Par provocation de façade, mais avec un réel questionnement de structure des curricula, cet article souhaite relativiser les données PISA et, surtout, recontextualiser celles-ci.

Une mesure pour quoi, pour qui ?
Ne devrions-nous pas oublier que l’enquête PISA mesure les effets d’un système ? Or, nous focalisons notre attention sur ces effets, les performances des élèves, sans chercher à en analyser et modifier les causes. Nous pouvons affirmer, sans grande surprise, qu’elles sont multiples. Mais peut être serions nous surpris de voir que toutes ne pèsent pas du même poids dans la balance. La première des causes à traiter, relevant du pouvoir institutionnel, tiendrait dans l’organisation du curriculum scolaire, et de celle-ci (comme un premier effet, avant de devenir cause à son tour) découlerait une seconde cause qui serait la formation des pédagogues. Nous pourrions ajouter une troisième cause en nommant la collaboration parentale. Beaucoup de chercheurs (Maulini, 1997 ; Dubet, 1997 ; Van Zanten, 2010) pointent ce sujet, mettant en avant que la collaboration est un impératif dans le bien être scolaire de l’élève et la réussite scolaire de ce dernier. Mais quel degré de collaboration faut-il entrevoir ? Certains pédagogues, comme Meirieu, pensent qu’un juste milieu doit être trouvé, car trop ouvrir l’école n’apporterait que cacophonie, et trop fermer l’école, alors que la société s’ouvre, la condamnerait à une mort certaine « Ouvrir l’école à tous les vents serait irresponsable. Professeurs et élèves s’y enrhumeraient, les courants d’air balaieraient la réflexion, les tourbillons empêcheraient l’étude. Mais confiner l’école, c’est l’asphyxier. » (1997, p.113). Toutefois, cette dernière cause, même si elle n’est pas anodine dans l’apprentissage du « métier d’élève » (Perrenoud, 1994), n’est pas celle qui impacte directement les résultats des élèves. A ce jour, la plupart des familles françaises sont soumises(5)  au système scolaire, et peu ont les clés pour se poser en acteurs – décideurs, même si tous souhaitent avoir ces choix stratégiques (Van Zanten, 2015).

Les décisions institutionnelles.
Le modèle français propose une scolarité obligatoire, pour tous les enfants âgés de 3 ans à 16 ans. Cette scolarité s’organise en cycles d’apprentissages, structurée par un socle commun de culture et de connaissance(6) , ainsi que des programmes disciplinaires. L’essentiel des apprentissages tournent autour du : lire – écrire – compter. Une formule nécessaire, mais non suffisante, pour construire le futur citoyen. Surtout qu’au fur et à mesure que l’élève avance dans sa scolarité, une pression sur les compétences écrire et compter va s’accentuer. A tel point que celle-ci prendra la forme d’une reconnaissance de « l’excellence » pour les individus « bons » dans ces deux domaines. Non contente de s’être accentuée, cette pression s’affirmera au cours du cycle 4 de la scolarité en valorisant les « bons en maths ». Quel professionnel, assistant à des conseils de classes n’a jamais entendu, s’agissant d’un élève avec de mauvaises moyennes en sciences, mais une bonne moyenne en français : « au moins il est bon en français ! », comme une compensation à défaut d’être un élève doué en mathématiques. Ou encore, de celui-ci aux bonnes performances en mathématiques, mais aux résultats très irréguliers dans les autres disciplines : « il est bon en maths, pas de raison qu’il ait ces résultats dans les autres disciplines ! », affirmant par là que l’élève performant en mathématiques doit logiquement être bon dans toutes les disciplines. Tout au moins les disciplines qui requièrent une réflexion. On peut, parfois, voir en cette élève quelque chose relevant de la génétique « il a la bosse des maths ! ». La pression atteindra son paroxysme, quand à la fin de la scolarité obligatoire les élèves seront orientés en fonction de leurs compétences, avec une priorité absolue pour les « forts en maths ». Pour en affirmer tout le prestige, n’a-t-on pas qualifié certains parcours de « voie royale » ? Mais l’origine de cette pression nait bien dans le souci d’alimenter notre modèle économique en individus compétents afin de le faire fonctionner. L’idée de la formation du citoyen pour la démocratie s’est étiolée tout au long du parcours scolaire, pour finir en la création d’une machine de guerre économique. Telle est bien la caricature de l’Homo oeconomicus d’aujourd’hui. La mise en valeur de compétences sociales, humanistes, de connaissances culturelles, passe après la formation du citoyen dévoué aux sciences et à la technique. Ne pourrait-on pas envisager un système où la scolarité obligatoire s’occupe principalement de cette « education for democracy », laissant aux niveaux qui suivent les cycles de la scolarité obligatoire, la charge de formations plus déterminantes de carrières futures ? Toutes les recherches prouvent, jusqu’à ce jour, que le système français se construit en opposition à cette idée et il serait trop long ici de chercher à en faire l’inventaire. Notre école a bien des « forts en maths », mais ils ne peuvent apparaitre dans les résultats d’une enquête type PISA, puisque justement notre système est trop élitiste et inégalitaire. Seule une poignée d’élèves, profitant de bonnes conditions sociales pour vivre la compétition scolaire sont capables de résultats significatifs. Les autres se maintiennent bon gré mal gré, quant aux autres, la grosse majorité, ils ont décroché du club des compétiteurs. Cette éducation soucieuse d’un citoyen à fort pouvoir réflexif, curieux et ouvert vers les autres, est possible si l’on fait le pari d’un changement structurel des curricula. Nussbaum(7)  propose par exemple de mettre au cœur de l’éducation, de la scolarité obligatoire, les humanités et les arts. Penser une autre forme de scolarité où tous les enfants vivent ensemble et n’auraient pas à entrer en compétition pour construire leur avenir. Cette période serait surtout propice à l’assimilation de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences, formées essentiellement autour de l’histoire, la littérature et les arts. Puis, une autorégulation de ces connaissances serait accompagnée par des débats, des travaux collaboratifs et coopératifs. Une forme d’éducation mélangeant constructivisme et socioconstructivisme. N’était ce pas là la formation voulue par Rousseau pour Emile(8)  ? Quels pédagogues souhaitons-nous aujourd’hui, pour quels élèves demain ?

La formation enseignante.
Tant que les enseignants n’auront pas une conscience aigüe de leur formation, leur statut de pédagogue sera mis à mal. C’est ici que se trouve la seconde cause d’un fonctionnement poussif de notre système scolaire : la formation initiale et continue des enseignants. Nous ne parlons pas ici des deux ou trois réunions annuelles encadrées par l’Inspecteur Pédagogique Régional (IPR), consistant trop souvent à rappeler le cadre normatif. Non, il s’agit ici d’évoquer l’accompagnement réflexif professionnel. Questionner sa (ses) pratique(s) pédagogique(s) ne se résume pas à un travail de surface. Le pédagogue, pour articuler son cours, le rendre « vivant », doit souvent puiser dans des ressources que nous pourrions caractériser par ressources internes et ressources externes. Les ressources externes étant, bien évidemment, tous les outils cognitifs et techniques mis au service d’une action pédagogique (modèle pédagogique,…, tableau numérique,…). Les ressources internes relèvent plus de la personnalité de l’enseignant, entendons par là les « charactersskills » (Franchini, 2016). Comme tous les professionnels, l’enseignant n’échappe pas à l’analyse de ses compétences. Même si elles sont validées à un moment « t », cela ne veut pas dire pour autant qu’elles ont un caractère durable dans le temps. De plus, ici aussi comme beaucoup de professionnels, le pédagogue se doit d’adapter ses compétences aux différentes situations professionnelles. Si les savoirs, connaissances, sont bien présents et validés par un examen universitaire, puis un concours national, il n’empêche qu’actualiser en permanence cette base de connaissances est une nécessité. Qui pourrait comprendre qu’un médecin ne suive pas l’actualité de la recherche dans sa discipline (même les généralistes !) ? Il en est de même pour l’enseignant, celui-ci se doit de suivre les avancées de la recherche tant disciplinaire que généraliste (sciences de l’éducation). D’autres savoirs, tels que les savoirs procéduraux et comportementaux, sont laissés de côté. Un peu comme si ces compétences relevaient de l’inné, et qu’elles apparaissent dans « l’être » pédagogue, dès lors que celui-ci embrasse le métier. Or, ne devrions-nous pas questionner les formations enseignantes sur les savoir-faire et les savoir-être professionnels ? Travailler et faire évoluer les compétences sociales de l’enseignant doit-il être un tabou ? Ni l’institution, en tant que responsable de la qualité des savoirs professionnels des enseignants, ni l’enseignant lui-même, en tant que responsable de ses savoirs, ne semblent préoccupés par ces questions. Cependant, les mauvais résultats des élèves aux tests PISA sont bien les conséquences de telles causes. Les enseignants incriminent souvent l’Institution, tout en rappelant aux politiques (décideurs et employeurs des enseignants) que si l’Etat attend d’eux un tel niveau d’exigence, alors la rémunération d’une telle qualité professionnelle doit être à la hauteur des attentes. Ce paramètre est d’une importance capitale et ne peut être balayé d’un revers de main, ou circonscrit en culpabilisant l’enseignant et le renvoyant à la responsabilité qui lui incombe : éduquer les enfants de la République. De son côté l’enseignant avance que si cette formation doit avoir lieu, elle doit se dérouler en remplacement des heures de cours. C’est là une erreur. Mais celle-ci découle là aussi d’un flou administratif résultant de la division du temps de travail enseignant, entre heures postées et heures non postées. Peut être qu’une simplification, un éclaircissement, de la situation conduirait à un respect mutuel entre l’Institution et ses agents.

Notes :

1 : http://www.oecd.org/pisa-fr/1

2 : C. Baudelot et R. Establet (1989), « Le niveau monte. Réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos école », Ed. du Seuil, 198 p.

3 : Martha Nussbaum (2010), “Not for Profit, Why Democracy Needs the Humanities”, Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2010.178 p.

4 : http://www.oecd.org/pisa/publications/2

5 : Il s’agit bien ici d’une soumission physique et intellectuelle. Il suffit de regarder le rapport au code scolaire imposé, tout comme les contraintes de temps, en termes de rythmes scolaires. Le débat sur les rythmes scolaires est toujours d’actualité.

6 : Réforme de l’école et du collège, socle de 2016.

7 : Ib. Martha Nussbaum (2010).

8 : J.J. Rousseau (1762), « Emile ou de l’éducation », Ed. Flammarion, 2009, 841 p.

  • Dominique Moreno (Enseignant)
  • 1 http://www.oecd.org/pisa-fr/
  • 2 http://www.oecd.org/pisa/publications/