Compte rendu du Forum du Capé de Lyon du 19 novembre 2016

 

 

 

 

ECHANGES DU GROUPE 2

Dans le groupe 2 nous avons d’abord réfléchi à la place de « l’éducation à la citoyenneté » et nous sommes tombés d’accord sur les réticences que nous avions vis-à-vis de toutes les « éducations à » et de l’approche transmissive de cet apprentissage qui doit, de l’avis général, être au cœur de tous les enseignements et ne surtout pas faire l’objet d’une discipline de plus, ou être accaparé par une matière qui en ferait sa chasse gardée. On craint qu’avec toutes les « éducations à » il n’y ait justement plus de place pour l’éducation ou pas suffisamment de cohérence entre des apprentissages éclatés. On retrouve le même risque avec les parcours (avenir, citoyen, santé, artistique…) que l’on peine à articuler. L’éparpillement nuit à la transparence, à la lisibilité et à l’efficacité.

Nous avons interrogé le vocabulaire : quelle différence entre éducation, enseignement ou instruction civique ?  Quelle évolution de l’ECJS à l’EMC ? Le terme « morale » nous paraît problématique dans ce contexte scolaire, en tous cas à questionner.

Pour certains les enseignements disciplinaires suffisent à faire vivre la citoyenneté à travers les contenus dans certaines disciplines (histoire, philosophie, français…) mais aussi et peut-être surtout à travers la façon d’enseigner, d’organiser la classe et les rapports entre les élèves. Il ne suffit pas d’afficher des valeurs pour les transmettre, on doit donner aux élèves les moyens de se les approprier. On peut être amené à se dire « Qu’est-ce qui est citoyen dans ce que je fais ? » pour situer son action et évaluer son potentiel éducatif.
D’autres, sans s’opposer à cette approche assez consensuelle, pensent que cela ne suffit pas et qu’il faut aussi faire vivre la citoyenneté sur des temps moins scolaires comme celui de la vie de classe, de l’aide personnalisée, des réunions au sein des établissements, des conseils représentatifs (CVL CVC MDL…), des conseils de classe et de discipline, des activités parascolaires comme les cafés ou les goûters philo, des débats citoyens... En effet, les expériences vécues, dans la classe comme autour, ne sont formatives que si elles sont verbalisées, analysées, mises à distance et théorisées. Il faut envisager un aller et retour constant entre le vécu de situations quotidiennes et des moments où on fait un pas de côté pour en discuter et en retirer des enseignements transposables. Dès la maternelle on peut accéder aux concepts par l’expérience. Aller du sensible, du vécu au concept et aux valeurs c’est « marcher sur deux jambes ».

Plusieurs mouvements rappellent que l’école ne détient pas la monopole de cette mission, les parents, les mouvements d’éducation populaire, toutes les composantes sociales sont partie prenante comme le Collectif 1001 territoires, qui regroupe une vingtaine d’associations, tente de l’illustrer. Les mouvements d’éducation populaire empruntent volontiers des chemins buissonniers, la médiation culturelle, sportive, ludique…

Le dialogue avec les parents et la coéducation ont été abordés à plusieurs reprises. Occasion pour les membres du Capé d’évoquer la sortie du livre écrit par Catherine Hurtig-Delattre « La coéducation à l’école c’est possible ! » édité à la Chronique Sociale. On constate que, dans les quartiers populaires en particulier, les parents n’osent pas venir dans les établissements ou s’y exprimer. Ils sont impressionnés par les enseignants qui sont peu formés à les accueillir et ils subissent le discours de l’institution qui leur paraît trop souvent opaque et hostile. « La coéducation devrait être instaurée collectivement, pas en fonction des bonnes volontés. »
Parfois la culture familiale et la culture scolaire sont en opposition, en contradiction, ce qui oblige les jeunes à développer un bilinguisme des valeurs qui ne facilite pas la construction de la loi ni celle de la personne.

On peut donc légitimement s’interroger sur la formation des enseignants qui connaissent mal l’appareillage textuel extrêmement solide sur lequel ils pourraient appuyer leur action. Déjà les professeurs sont rarement formés à travailler en équipe, à gérer les conflits au sein de la classe ou entre les adultes et les élèves, avec les familles. La communication non violente et la médiation par les pairs cheminent lentement à bas bruit dans le système scolaire français. C’est pourtant un terrain où enseignants et animateurs des mouvements d’éducation populaire pourraient œuvrer ensemble à une citoyenneté en actes au quotidien. L’analyse des pratiques a aussi des effets de formation précieux pour apprendre peu à peu à réagir de plus en plus justement dans les situations imprévues. « Les adultes pensent avoir des intérêts contradictoires alors qu’ils devraient voir surtout leur intérêt commun. » dit un Chef d’établissement qui situe là l’impact qu’elle peut avoir sur l’ambiance d’un établissement, en fixant à chacun une feuille de route claire, en étant garant d’un cadre commun de travail, en veillant à la lisibilité et donc à la crédibilité des dispositifs. Se pose aussi la question de l’articulation du prescrit national et des interprétations, déclinaisons ou initiatives locales.

Le parallèle entre les dispositifs destinés aux jeunes et la citoyenneté des adultes a amené plusieurs réflexions et bien de la perplexité :
- Les formes de représentation des collégiens et des lycéens sont calquées sur les représentations citoyennes adultes, or celles-ci sont en crise ! De plus le millefeuille des structures nuit à la lisibilité : CVL, CVC, MDL, CHS, conseil d’établissement, assemblée des délégués… parfois redondants. Dans un petit établissement il peut même devenir bien difficile de motiver des jeunes pour tous ces sièges à pourvoir et on tombe parfois dans le formalisme stérile là où il devrait y avoir de l’implication et du sens.
- La première génération à avoir suivi un parcours scolaire complet d’éducation à la citoyenneté est arrivée aux urnes en 2002 avec un taux d’abstention record pour cette tranche d’âge. Comment l’interpréter ? Echec pédagogique ? La nouvelle génération ne se reconnaît pas dans notre forme de démocratie ? Le spectacle de la vie politique les dégoûte ? Manifestation du « à quoi bon ? » par lequel les ados justifient bien souvent leur non engagement?
- Quand nous prônons des valeurs comme la solidarité dans le système scolaire le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, ou le respect d’autrui alors que la vie politique leur renvoie une image d’un monde où tous les coups bas sont permis, l’honnêteté alors que les électeurs se sont résignés à voter pour des hommes politiques corrompus… sommes-nous crédibles ?
- La vie de classe, les conseils, sont des lieux d’expression libre en théorie mais il arrive que la parole y soit normée, que les élèves s’y retrouvent muselés et condamnés à subir le discours des adultes. Si nous ne pouvons garantir aux élèves l’exercice de leurs droits comment peut-on se plaindre qu’ils ne  respectent pas leurs devoirs ?

Nous avons aussi évoqué l’exemple donné par les adultes, les enseignants. La co- intervention d’enseignants pourrait se révéler un excellent moyen de montrer à des jeunes comment on gère un différend qui ne manque pas de surgir en situation de classe, même quand on trouve le temps en amont de préparer cette co-intervention, voire de faire réellement de la co-élaboration. Malheureusement, par manque de formation, beaucoup d’enseignants renvoient aux élèves une image négative des adultes à travers des confrontations mal gérées.

Aider les jeunes à s’investir dans les instances qui existent et à s’y exprimer devrait être une priorité. S’investir, prendre des initiatives, devenir autonome, apprendre à vivre ensemble, s’émanciper, développer son sens critique… Toutes les situations, dans la classe et autour, sont l’occasion de se former et de grandir « en citoyenneté » comme « en humanité », à condition que les adultes médiateurs soient bien persuadés que cela fait partie de leur mission et qu’ils soient formés et outillés pour faire face à des situations de plus en plus délicates et complexes.

Cela suppose pour les jeunes l’apprentissage de l’éloquence. Plusieurs participants évoquent le film « A voix Haute » qui montre comment des jeunes de milieux populaires apprennent à s’exprimer en public, à argumenter, à défendre leurs convictions, à prendre leur place dans des réunions et dans notre société. On pense aussi aux débats citoyens en Rhône-Alpes, tables rondes publiques organisées par des lycéens avec l’aide de leurs enseignants. Aux Forum des Enfants Citoyens initiés par les Francas dans la région. Ils prennent conscience que les capacités d’expression orale et écrite confèrent du pouvoir dans notre société, ce qui est bon moyen de donner du sens aux études et de motiver ceux qui se demandent à quoi sert l’école.

COMPTE RENDU DU GROUPE 1

Une réflexion qui tourne autour des contradictions :
- L’annonce de quelque chose de démocratique et ce qu’on vit ensuite qui n’est pas toujours très démocratique.

- L’opposition des paroles et des actes.

- Une société qui annonce des valeurs comme « liberté, égalité, fraternité » pas toujours mises en œuvre par l’institution.

- Faut-il débattre pour débattre ou débattre pour décider ? Quelle place des élèves dans les dispositifs ? Quelle parole ? Quels choix ?

- L’enfant mineur, dépendant, pas encore citoyen mais apprentis citoyens et l’adulte autonome et citoyen à part entière.

- Les difficultés entre partenaires, cohérence, décentrage, diversité.

- Décentration vis-à-vis des élèves et des parents de cultures différentes, textes nationaux et internationaux.

Laisser les portes ouvertes, ne pas tout « prépenser » pour laisser de la place à l’autre suppose une mise en danger, une prise de risque et une destabilisation.

 

PRESENTATION DES TRAVAUX DES DEUX GROUPES

 

 

 

 

 

 

 

En affichant les deux synthèses obtenues par les deux groupes de réflexion nous avons constaté, au-delà de la forme (en nuage pour le groupe 1 et linéaire pour le groupe 2), de nombreuses convergences, une bonne douzaine de mots clés sont communs.

Un beau symbole du collectif Capé, la richesse de cultures de mouvements différentes et la force des valeurs et des objectifs communs.

L’INTERVENTION DE MICHEL NESME
IA-IPR de philosophie – référent laïcité

Monsieur Nesme rappelle la charte de la laïcité de 2013 visant à réhabiliter l’école de la République et à réinsuffler de la citoyenneté dans l’école dans le cadre de la refondation voulue par Vincent Peillon et poursuivie par les deux Ministres de l’Education qui lui ont succédé, même si le volet lycée n’aura pas abouti. En janvier 2015 ce sont les 11 mesures pour une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, la formation de 320 000 enseignants à la laïcité et de 1000 formateurs, 40 formateurs par académie pour former les enseignants.
Lyon a privilégié les écoles et collèges des REP et concerne tous les personnels enseignants et non enseignants, personnels administratifs, assistantes sociales… mais on n’a pas pu satisfaire toutes les demandes ni même continuer comme prévu faute de moyens et en raison de la réforme du collège qui a absorbé beaucoup d’acteurs et de temps. On a mis en place une formation sur la mise en œuvre du parcours citoyen en cycle 3, car il faut désormais raisonner en termes de parcours et non plus de programmes, ce qui correspond à une transformation profonde.

Cette réforme est elle-même en adéquation avec les valeurs de la République. Le parcours citoyen intègre l’EMC mis en avant dans la réforme du collège. Les objectifs, les contenus et les méthodes engagent tous les personnels de l’éducation nationale, comme l’EMI, l’entraînement au jugement, à l’argumentation et au débat.

Il fait allusion à un texte d’une douzaine de pages qu’il a lui-même écrit sur le thème : Philosophie et valeurs de la République : une critique éclairée.
https://contrib.eduscol.education.fr/philosophie/fichiers/philosophie_et...

Les valeurs de la République, la citoyenneté et la laïcité doivent être portées par l’ensemble des personnels, y compris l’enseignement professionnel et la formation des apprentis. Les engagements associatifs des élèves doivent être pris en compte, pas seulement l’UNSS mais aussi le fait d’être pompier volontaire par exemple. On multiplie les instances et la notion d’engagement est essentielle. L’implication dans des actions en faveur du développement durable et environnemental est aussi évaluée dans le socle.

Les tensions sont inéluctables car l’enfant n’est pas adulte mais il est un sujet. ON parle d’autant plus d’un chose qu’elle n’existe pas, il y a un déficit complet de fraternité, de citoyenneté et d’autonomie. On constate une schizophrénie entre intérêts collectifs et intérêts personnels. Les élèves sont éduqués dans un système concurrentiel avec des notes. Il faut au moins être conscients qu’on porte ces contradictions, quant à les résoudre… on différerait dans le temps la sélection, comme dans les pays qui réussissent le mieux, à la fois en termes de fabrication des élites et d’augmentation du niveau des plus faibles. L’évaluation par compétences permet de piloter l’évolution du système. Il faut une cohérence entre les discours et la pratique. Comme le disait Jean Jaurès, « On enseigne ce que l’on est », on n’est jamais neutre, on défend des valeurs : ce qui compte ce sont les maths ou la capacité de faire réfléchir les élèves ?
Il y a dans notre système du sexisme, de la discrimination, de la stimulation par la compétition…

Qu’est-ce qu’on cherche pour construire des citoyens ? 4 piliers qui font système :
La sensibilité
Le droit, la règle
Le jugement
L’engagement

Une culture de la sensibilité : Se penser comme un parmi les autres. Le manque d’empathie, l’indifférence aux autres posent problème. La raison seule ne suffit pas, on a un cœur aussi. Il faut aussi savoir mettre à distance la sensiblerie. Mettre en culture la sensibilité ne suffit pas non plus et peut même se révéler dangereux.

Une culture du droit et des règles : L’importance des principes, règles locales et lois universelles, lignes conductrices, culture universalisable.

Une culture du jugement : Il faut mettre les élèves dans des situations faisant appel aux capacités de jugement, mettant en scène des conflits de normes, des dilemmes moraux. Je suis inquiet des ressources utilisées par certains, par exemple : un enfant peut-il prendre de l’argent dans le porte monnaie de sa mère pour acheter des bonbons à ses copains ? En France on n’a pas su adapter les recherches menées dans les pays anglo-saxons. Il faut une réflexion entre morale des principes et morale des conséquences, c’est-à-dire de vrais dilemmes.

La capacité à s’engager : à ne pas vivre le monde en spectateur, en free rider, en observateur.
Question de Jean-Yves Langanay : Mais doit-on scolariser l’engagement en l’évaluant ?

Des questions de la salle ont permis un échanges sur :

- L’écart entre le temps long de l’école nécessaire à de vraies réformes et le temps court des politiques qui remettent en cause les réformes précédentes.

- La richesse des mouvements constituant le Capé, pas suffisamment sollicités pour la formation des enseignants ou des interventions auprès des jeunes, en fait une richesse pas reconnue par l’institution, au-delà des déclarations, pas de vrai partenariat.

- Les inspections sur dispositifs comme l’AP, les EPI…

- La prise en compte du handicap, la formation des enseignants dans ce domaine, des EVS aussi, le manque d’Ulis…Compte rendu du Forum du Capé de Lyon du 19 novembre 2016

 

 

 

Dans un premier temps des échanges ont eu lieu en deux groupes distincts.

ECHANGES DU GROUPE 2

Dans le groupe 2 nous avons d’abord réfléchi à la place de « l’éducation à la citoyenneté » et nous sommes tombés d’accord sur les réticences que nous avions vis-à-vis de toutes les « éducations à » et de l’approche transmissive de cet apprentissage qui doit, de l’avis général, être au cœur de tous les enseignements et ne surtout pas faire l’objet d’une discipline de plus, ou être accaparé par une matière qui en ferait sa chasse gardée. On craint qu’avec toutes les « éducations à » il n’y ait justement plus de place pour l’éducation ou pas suffisamment de cohérence entre des apprentissages éclatés. On retrouve le même risque avec les parcours (avenir, citoyen, santé, artistique…) que l’on peine à articuler. L’éparpillement nuit à la transparence, à la lisibilité et à l’efficacité.

Nous avons interrogé le vocabulaire : quelle différence entre éducation, enseignement ou instruction civique ?  Quelle évolution de l’ECJS à l’EMC ? Le terme « morale » nous paraît problématique dans ce contexte scolaire, en tous cas à questionner.

Pour certains les enseignements disciplinaires suffisent à faire vivre la citoyenneté à travers les contenus dans certaines disciplines (histoire, philosophie, français…) mais aussi et peut-être surtout à travers la façon d’enseigner, d’organiser la classe et les rapports entre les élèves. Il ne suffit pas d’afficher des valeurs pour les transmettre, on doit donner aux élèves les moyens de se les approprier. On peut être amené à se dire « Qu’est-ce qui est citoyen dans ce que je fais ? » pour situer son action et évaluer son potentiel éducatif.
D’autres, sans s’opposer à cette approche assez consensuelle, pensent que cela ne suffit pas et qu’il faut aussi faire vivre la citoyenneté sur des temps moins scolaires comme celui de la vie de classe, de l’aide personnalisée, des réunions au sein des établissements, des conseils représentatifs (CVL CVC MDL…), des conseils de classe et de discipline, des activités parascolaires comme les cafés ou les goûters philo, des débats citoyens... En effet, les expériences vécues, dans la classe comme autour, ne sont formatives que si elles sont verbalisées, analysées, mises à distance et théorisées. Il faut envisager un aller et retour constant entre le vécu de situations quotidiennes et des moments où on fait un pas de côté pour en discuter et en retirer des enseignements transposables. Dès la maternelle on peut accéder aux concepts par l’expérience. Aller du sensible, du vécu au concept et aux valeurs c’est « marcher sur deux jambes ».

Plusieurs mouvements rappellent que l’école ne détient pas la monopole de cette mission, les parents, les mouvements d’éducation populaire, toutes les composantes sociales sont partie prenante comme le Collectif 1001 territoires, qui regroupe une vingtaine d’associations, tente de l’illustrer. Les mouvements d’éducation populaire empruntent volontiers des chemins buissonniers, la médiation culturelle, sportive, ludique…

Le dialogue avec les parents et la coéducation ont été abordés à plusieurs reprises. Occasion pour les membres du Capé d’évoquer la sortie du livre écrit par Catherine Hurtig-Delattre « La coéducation à l’école c’est possible ! » édité à la Chronique Sociale. On constate que, dans les quartiers populaires en particulier, les parents n’osent pas venir dans les établissements ou s’y exprimer. Ils sont impressionnés par les enseignants qui sont peu formés à les accueillir et ils subissent le discours de l’institution qui leur paraît trop souvent opaque et hostile. « La coéducation devrait être instaurée collectivement, pas en fonction des bonnes volontés. »
Parfois la culture familiale et la culture scolaire sont en opposition, en contradiction, ce qui oblige les jeunes à développer un bilinguisme des valeurs qui ne facilite pas la construction de la loi ni celle de la personne.

On peut donc légitimement s’interroger sur la formation des enseignants qui connaissent mal l’appareillage textuel extrêmement solide sur lequel ils pourraient appuyer leur action. Déjà les professeurs sont rarement formés à travailler en équipe, à gérer les conflits au sein de la classe ou entre les adultes et les élèves, avec les familles. La communication non violente et la médiation par les pairs cheminent lentement à bas bruit dans le système scolaire français. C’est pourtant un terrain où enseignants et animateurs des mouvements d’éducation populaire pourraient œuvrer ensemble à une citoyenneté en actes au quotidien. L’analyse des pratiques a aussi des effets de formation précieux pour apprendre peu à peu à réagir de plus en plus justement dans les situations imprévues. « Les adultes pensent avoir des intérêts contradictoires alors qu’ils devraient voir surtout leur intérêt commun. » dit un Chef d’établissement qui situe là l’impact qu’elle peut avoir sur l’ambiance d’un établissement, en fixant à chacun une feuille de route claire, en étant garant d’un cadre commun de travail, en veillant à la lisibilité et donc à la crédibilité des dispositifs. Se pose aussi la question de l’articulation du prescrit national et des interprétations, déclinaisons ou initiatives locales.

Le parallèle entre les dispositifs destinés aux jeunes et la citoyenneté des adultes a amené plusieurs réflexions et bien de la perplexité :
- Les formes de représentation des collégiens et des lycéens sont calquées sur les représentations citoyennes adultes, or celles-ci sont en crise ! De plus le millefeuille des structures nuit à la lisibilité : CVL, CVC, MDL, CHS, conseil d’établissement, assemblée des délégués… parfois redondants. Dans un petit établissement il peut même devenir bien difficile de motiver des jeunes pour tous ces sièges à pourvoir et on tombe parfois dans le formalisme stérile là où il devrait y avoir de l’implication et du sens.
- La première génération à avoir suivi un parcours scolaire complet d’éducation à la citoyenneté est arrivée aux urnes en 2002 avec un taux d’abstention record pour cette tranche d’âge. Comment l’interpréter ? Echec pédagogique ? La nouvelle génération ne se reconnaît pas dans notre forme de démocratie ? Le spectacle de la vie politique les dégoûte ? Manifestation du « à quoi bon ? » par lequel les ados justifient bien souvent leur non engagement?
- Quand nous prônons des valeurs comme la solidarité dans le système scolaire le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, ou le respect d’autrui alors que la vie politique leur renvoie une image d’un monde où tous les coups bas sont permis, l’honnêteté alors que les électeurs se sont résignés à voter pour des hommes politiques corrompus… sommes-nous crédibles ?
- La vie de classe, les conseils, sont des lieux d’expression libre en théorie mais il arrive que la parole y soit normée, que les élèves s’y retrouvent muselés et condamnés à subir le discours des adultes. Si nous ne pouvons garantir aux élèves l’exercice de leurs droits comment peut-on se plaindre qu’ils ne  respectent pas leurs devoirs ?

Nous avons aussi évoqué l’exemple donné par les adultes, les enseignants. La co- intervention d’enseignants pourrait se révéler un excellent moyen de montrer à des jeunes comment on gère un différend qui ne manque pas de surgir en situation de classe, même quand on trouve le temps en amont de préparer cette co-intervention, voire de faire réellement de la co-élaboration. Malheureusement, par manque de formation, beaucoup d’enseignants renvoient aux élèves une image négative des adultes à travers des confrontations mal gérées.

Aider les jeunes à s’investir dans les instances qui existent et à s’y exprimer devrait être une priorité. S’investir, prendre des initiatives, devenir autonome, apprendre à vivre ensemble, s’émanciper, développer son sens critique… Toutes les situations, dans la classe et autour, sont l’occasion de se former et de grandir « en citoyenneté » comme « en humanité », à condition que les adultes médiateurs soient bien persuadés que cela fait partie de leur mission et qu’ils soient formés et outillés pour faire face à des situations de plus en plus délicates et complexes.

Cela suppose pour les jeunes l’apprentissage de l’éloquence. Plusieurs participants évoquent le film « A voix Haute » qui montre comment des jeunes de milieux populaires apprennent à s’exprimer en public, à argumenter, à défendre leurs convictions, à prendre leur place dans des réunions et dans notre société. On pense aussi aux débats citoyens en Rhône-Alpes, tables rondes publiques organisées par des lycéens avec l’aide de leurs enseignants. Aux Forum des Enfants Citoyens initiés par les Francas dans la région. Ils prennent conscience que les capacités d’expression orale et écrite confèrent du pouvoir dans notre société, ce qui est bon moyen de donner du sens aux études et de motiver ceux qui se demandent à quoi sert l’école.

COMPTE RENDU DU GROUPE 1

Une réflexion qui tourne autour des contradictions :
- L’annonce de quelque chose de démocratique et ce qu’on vit ensuite qui n’est pas toujours très démocratique.

- L’opposition des paroles et des actes.

- Une société qui annonce des valeurs comme « liberté, égalité, fraternité » pas toujours mises en œuvre par l’institution.

- Faut-il débattre pour débattre ou débattre pour décider ? Quelle place des élèves dans les dispositifs ? Quelle parole ? Quels choix ?

- L’enfant mineur, dépendant, pas encore citoyen mais apprentis citoyens et l’adulte autonome et citoyen à part entière.

- Les difficultés entre partenaires, cohérence, décentrage, diversité.

- Décentration vis-à-vis des élèves et des parents de cultures différentes, textes nationaux et internationaux.

Laisser les portes ouvertes, ne pas tout « prépenser » pour laisser de la place à l’autre suppose une mise en danger, une prise de risque et une destabilisation.

 

PRESENTATION DES TRAVAUX DES DEUX GROUPES

 

 

 

 

 

 

 

En affichant les deux synthèses obtenues par les deux groupes de réflexion nous avons constaté, au-delà de la forme (en nuage pour le groupe 1 et linéaire pour le groupe 2), de nombreuses convergences, une bonne douzaine de mots clés sont communs.

Un beau symbole du collectif Capé, la richesse de cultures de mouvements différentes et la force des valeurs et des objectifs communs.

L’INTERVENTION DE MICHEL NESME
IA-IPR de philosophie – référent laïcité

Monsieur Nesme rappelle la charte de la laïcité de 2013 visant à réhabiliter l’école de la République et à réinsuffler de la citoyenneté dans l’école dans le cadre de la refondation voulue par Vincent Peillon et poursuivie par les deux Ministres de l’Education qui lui ont succédé, même si le volet lycée n’aura pas abouti. En janvier 2015 ce sont les 11 mesures pour une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, la formation de 320 000 enseignants à la laïcité et de 1000 formateurs, 40 formateurs par académie pour former les enseignants.
Lyon a privilégié les écoles et collèges des REP et concerne tous les personnels enseignants et non enseignants, personnels administratifs, assistantes sociales… mais on n’a pas pu satisfaire toutes les demandes ni même continuer comme prévu faute de moyens et en raison de la réforme du collège qui a absorbé beaucoup d’acteurs et de temps. On a mis en place une formation sur la mise en œuvre du parcours citoyen en cycle 3, car il faut désormais raisonner en termes de parcours et non plus de programmes, ce qui correspond à une transformation profonde.

Cette réforme est elle-même en adéquation avec les valeurs de la République. Le parcours citoyen intègre l’EMC mis en avant dans la réforme du collège. Les objectifs, les contenus et les méthodes engagent tous les personnels de l’éducation nationale, comme l’EMI, l’entraînement au jugement, à l’argumentation et au débat.

Il fait allusion à un texte d’une douzaine de pages qu’il a lui-même écrit sur le thème : Philosophie et valeurs de la République : une critique éclairée.
https://contrib.eduscol.education.fr/philosophie/fichiers/philosophie_et...

Les valeurs de la République, la citoyenneté et la laïcité doivent être portées par l’ensemble des personnels, y compris l’enseignement professionnel et la formation des apprentis. Les engagements associatifs des élèves doivent être pris en compte, pas seulement l’UNSS mais aussi le fait d’être pompier volontaire par exemple. On multiplie les instances et la notion d’engagement est essentielle. L’implication dans des actions en faveur du développement durable et environnemental est aussi évaluée dans le socle.

Les tensions sont inéluctables car l’enfant n’est pas adulte mais il est un sujet. ON parle d’autant plus d’un chose qu’elle n’existe pas, il y a un déficit complet de fraternité, de citoyenneté et d’autonomie. On constate une schizophrénie entre intérêts collectifs et intérêts personnels. Les élèves sont éduqués dans un système concurrentiel avec des notes. Il faut au moins être conscients qu’on porte ces contradictions, quant à les résoudre… on différerait dans le temps la sélection, comme dans les pays qui réussissent le mieux, à la fois en termes de fabrication des élites et d’augmentation du niveau des plus faibles. L’évaluation par compétences permet de piloter l’évolution du système. Il faut une cohérence entre les discours et la pratique. Comme le disait Jean Jaurès, « On enseigne ce que l’on est », on n’est jamais neutre, on défend des valeurs : ce qui compte ce sont les maths ou la capacité de faire réfléchir les élèves ?
Il y a dans notre système du sexisme, de la discrimination, de la stimulation par la compétition…

Qu’est-ce qu’on cherche pour construire des citoyens ? 4 piliers qui font système :
La sensibilité
Le droit, la règle
Le jugement
L’engagement

Une culture de la sensibilité : Se penser comme un parmi les autres. Le manque d’empathie, l’indifférence aux autres posent problème. La raison seule ne suffit pas, on a un cœur aussi. Il faut aussi savoir mettre à distance la sensiblerie. Mettre en culture la sensibilité ne suffit pas non plus et peut même se révéler dangereux.

Une culture du droit et des règles : L’importance des principes, règles locales et lois universelles, lignes conductrices, culture universalisable.

Une culture du jugement : Il faut mettre les élèves dans des situations faisant appel aux capacités de jugement, mettant en scène des conflits de normes, des dilemmes moraux. Je suis inquiet des ressources utilisées par certains, par exemple : un enfant peut-il prendre de l’argent dans le porte monnaie de sa mère pour acheter des bonbons à ses copains ? En France on n’a pas su adapter les recherches menées dans les pays anglo-saxons. Il faut une réflexion entre morale des principes et morale des conséquences, c’est-à-dire de vrais dilemmes.

La capacité à s’engager : à ne pas vivre le monde en spectateur, en free rider, en observateur.
Question de Jean-Yves Langanay : Mais doit-on scolariser l’engagement en l’évaluant ?

Des questions de la salle ont permis un échanges sur :

- L’écart entre le temps long de l’école nécessaire à de vraies réformes et le temps court des politiques qui remettent en cause les réformes précédentes.

- La richesse des mouvements constituant le Capé, pas suffisamment sollicités pour la formation des enseignants ou des interventions auprès des jeunes, en fait une richesse pas reconnue par l’institution, au-delà des déclarations, pas de vrai partenariat.

- Les inspections sur dispositifs comme l’AP, les EPI…

- La prise en compte du handicap, la formation des enseignants dans ce domaine, des EVS aussi, le manque d’Ulis…