Soizic Guérin-Cauet, 45 ans, est professeure d'anglais au lycée Jean-Perrin à Rezé (44). Arrêtée suite à des conflits avec des collègues, cette professeure d'anglais depuis 16 ans, a réussi à remonter la pente. Vos débuts dans l’enseignement… Après avoir raté le CAPES externe trois ans de suite, j’ai fait un détour par la formation pour adulte, puis je suis devenue contractuelle en collège ZEP (zone d’éducation prioritaire). J’étais nulle. Cela a été horrible. Mes élèves s’ennuyaient. Je prenais le manuel et je le suivais page par page, sans aucune réflexion pédagogique. J’ai d’abord pensé : ‘C’est de leur faute s’ils ne me suivent pas’. Et puis je me suis vue, en train d’avancer seule, et j’ai pensé : ‘si tu ne les emmènes pas avec toi, comment veux-tu qu’ils te suivent ?’

Votre entrée en pédagogie… Au bout de deux ans d’enseignement, j’ai pris conscience que si je faisais des choses qui m’intéressaient, moi, j’arriverais mieux à les transmettre. Les mômes n’allaient pas tous devenir profs de langue mais ils allaient tous avoir besoin de l’anglais pour le travail et pour voyager.

Votre première « audace »…
J’ai transformé la classe en ville anglaise, en mettant les tables en îlots. Les élèves se baladaient de tables en tables. Il y avait des touristes, des banquiers, des postiers… Les élèves devaient réserver une table, retirer des sous, etc…

Votre CAPES… Après 3 ans d’ancienneté, j’ai passé le CAPES interne et je suis sortie major de promo. Cela a été une sorte de revanche pour moi qui avait eu 1 sur 20 sur Shakespeare au concours externe. Je me suis donc retrouvée stagiaire à temps complet dans deux collèges de Nantes, avec une journée de formation par semaine.

Vos leçons tirées de l’expérience de votre tuteur… Cette année-là, j’avais une 5e très difficile, avec des élèves tout le temps debout et des insultes qui volaient. J’ai fait comme mon tuteur, qui savait instaurer un vrai dialogue avec ses élèves. Un jour, je n’ai pas fait cours et on a parlé, d’égal à égal, de la manière dont on ressentait les choses. Il en est ressorti que ce n’était pas satisfaisant ni pour eux, ni pour moi. Nous avons défini ensemble une charte de fonctionnement de la classe. Cela n’a pas été miraculeux, mais on était mieux. Depuis, dès qu’il y a un souci, on se pose et on parle.

Votre passage au lycée… Au bout de six ans d’ancienneté, j’ai été affectée en lycée à Pornic. J’ai d’abord eu peur que mes élèves soient meilleurs que moi ! (éclat de rire). Finalement, tout s’est très bien passé… Vos supports de cours avec les lycéens… Je m’abstiens d’utiliser les manuels, ce que j’avais commencé à faire en collège. J’utilise tout ce que je trouve : presse, supports sur internet, bouquins, émission de radio… La vie quoi ! Je parle de choses qui m’intéressent, moi, ce qui me permet de mieux les intéresser, eux. Du coup, tous mes élèves font tous les ans un truc sur le Canada (rire) !

Votre ambiance de classe…
Je n’attends pas que les élèves soient silencieux, mais qu’ils soient chez eux dans la classe. Ils ont le droit de se déplacer pour chercher un dico, ils peuvent utiliser les ordinateurs si besoin. C’est important qu’ils soient actifs, même physiquement. Votre manière d’organiser la prise de parole… Nous avons entre 25 et 30 élèves par classe. En une heure, tout le monde ne peut pas parler au prof, mais ils peuvent le faire entre eux. Je les mets en petits groupes de cinq avec une tâche à accomplir et je désigne un porte-parole. Cela permet déjà à un élève sur cinq de s’exprimer pour rendre compte des travaux du groupe. Quant à moi, je tourne, j’entends, j’interviens, je corrige les erreurs les plus gênantes pour la compréhension. Les élèves cherchent, ensemble, et s’entraident, sans avoir toujours le regard du prof. Avant de mettre cela en place, j’avais toujours les trois bons élèves qui vont vite qui répondaient pendant que le reste de la classe ne faisait rien.

Votre idée de la manière de s’y prendre pour rendre les élèves meilleurs à l’oral… Accentuer sur l’oral et la phonologie. Avec une bonne prononciation, tu fais illusion. L’inverse est moins vrai. Il faut rééquilibrer les cours entre prononciation et grammaire.  C’est normal qu’on ne le fasse pas spontanément. Nous, les enseignants, sommes tous des universitaires et avons surtout fait des études de langue écrite. Dans les amphis, personne ne parlait. A la fac, on devait avoir une heure d’oral par semaine. Pour bien parler, il fallait partir un an en Erasmus ou au pair.

Votre méthode pour en finir avec le complexe qui consiste à ne pas oser parler une langue qu’on ne maîtrise pas bien… Mes élèves me disent : ‘je parle pas parce que je ne suis pas sûr’. Je leur réponds : ‘Si vous étiez sûrs, je ne serais pas là’. Il faut les laisser s’exprimer et laisser passer des erreurs aussi. C’est très dur dans le métier de faire en sorte de leur apporter une amélioration sans dire que ce qu’ils font n’est pas bien. Je bannis les ‘tu t’es trompé’, qui éteignent l’envie.

Vos moments de découragement… Ils peuvent venir d’un cours préparé avec passion et auquel les élèves n’ont pas adhéré. D’abord on les accuse secrètement de ne s’intéresser à rien, voire d’être une bande d’ignares. Ensuite, on se remet en cause… C’est également décourageant quand tu te démènes pour des projets et qu' »on » te met des bâtons dans les roues. Le problème c’est que le « on » est indéfini… Le « on » c’est souvent le chef d’établissement, lui même contraint par ailleurs car à la tête d’une grosse machine… Votre projet… Nous travaillons depuis deux ans sur un projet de collaboration et de coopération entre professeurs et élèves. Nous nous sommes regroupés en équipe autour de ceux qui avaient un regard commun sur le métier afin d’avoir la même classe de seconde. Ensuite nous avons demandé à ce que tous les cours en groupes – enseignements d’explorations, accompagnement personnalisé, français, histoire-géo, … – soient réunis dans un pot commun pour deux aprèsmidi de quatre heures étiquetées « ateliers de travail interdisciplinaires ». Cela implique cinq enseignants. Nous avons planché ensemble sur les contenus. Je vais, par exemple, travailler avec le professeur d’histoire-géo sur l’immigration irlandaise. Mais nous allons aussi commencer l’année par de la méthodologie sur la manière de chercher de l’information et de la trier, par exemple. … et les bâtons dans les roues… Tout était calé et avait été long à mettre en place (et ce temps de concertation n’est pas prévu, c’est du bénévolat, bien sûr…) et puis la veille de la rentrée, nous n’avions pas les deux plages horaires prévues à l’emploi du temps. Il y avait un cours de français au milieu. Cela a été changé, mais il a fallu râler. Et puis l’équipe enseignante de cette seconde n’est pas tout à fait celle qui était prévue…

Votre rencontre avec le Cercle de recherche et d’action pédagogique (CRAP)… J’ai vécu des agressions répétées en salle des profs en 2014. C’était lié à un regard différent sur le métier au moment de la mise en place de la réforme du lycée. Je
n’allais pas bien du tout. J’ai été arrêtée. Et le psy que je consultais m’a conseillé de me rapprocher d’autres profs qui travaillaient comme moi. Twitter m’a alors permis d’échanger avec des profs que je ne connaissais pas mais dont j’aimais le discours. Je me suis rendue compte qu’ils étaient tous du CRAP ! Depuis, je participe chaque année aux rencontres organisées pendant les vacances scolaires. Cela permet d’échanger entre enseignants de tous niveaux, sans être jugé.

Votre conseil aux jeunes enseignants… J’ai eu plusieurs années de suite des stagiaires avec moi un jour par semaine (je touchais 300 euros par an pour ça…). Je leur disais : « regarde les élèves ! ». L’erreur de débutant, c’est d’être centré sur soi avec sa prépa, son texte, sa séance minutée… Si tu n’es pas au tableau en mode magistral, mais que tu donnes un objectif – faire un discours qui appelle à la défense de telle ou telle cause, par exemple – tu as plus de temps pour regarder tes élèves. Il faut les regarder travailler, voir comment ils s’y prennent, comment ils discutent, de quoi ils ont besoin… Je conseille aussi aux jeunes de discuter avec les collègues, enseignants, CPE, infirmière scolaire… De ne pas s’enfermer. De lire. D’écouter. Le plus gros danger, c’est d’être seul. C’est à la fois un confort et un super piège. Seul, t’as le pouvoir, personne ne regarde ce que tu fais. Mais quand tu as un souci avec une classe, tu penses vraiment que c’est toi qui a un problème. Alors que tes collègues et les parents d’élèves en ont sans doute aussi. Et peuvent t’aider à trouver des solutions.

Votre sentiment sur ce qu’est un bon prof… Quelqu’un qui sait instaurer un dialogue avec ses élèves et qui questionne sa pratique tout le temps. Ce n’est pas confortable au quotidien. C’est fatiguant. Mais ça vaut le coup !