E. Jeux d'écriture

Pierric Bergeron : Rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques
Sandra Miranda : Professeure de français en lycée

Durant cet atelier, que ses animateurs veulent ludique et créatif, il s'agira de jouer avec différentes formes d'écriture : théatrale, musicale, poétique, narrative, oulipienne, journalistique et d'autres productions qui feront appel à l'imagination.

On pourra écrire d'après photo, en découvrant ou redécouvrant des auteurs, en écoutant de la musique, en observant les paysages lorientais, on écrira donc à l'intérieur mais aussi dehors, en ballade, dans les transports en commun...

Les propositions induiront des textes plus ou moins longs, en cascade, enchâssés, à réaliser seul-e ou à plusieurs. La lecture sera importante elle aussi, moment de partage dans le groupe indissociable de l'écriture. Et pour donner un aperçu des écrits et élargir ce partage, des moments de lecture à destination de tous les participants des rencontres pourront être organisés.

Rebonds 5

Mercredi 17 aout

C'est parti ! après la présentation de l'atelier aux neuf participants Yan, Sylvie, Monica, Romain, Anne Marie, Marie Hélène, Madeleine, Guy et Anne, la première consigne d'écriture est donnée : choisir 15 mots qu'on aime,  et donner ce réservoir de mots à quelqu'un-e désigné-e par les cartes avec lesquels il ou elle devra écrire une lettre qu'il ou elle vous adressera, contenant au moins 10 des 15 mots proposés.

Ci-dessous le texte de Monica à l'adresse de Sandra (les mots de Sandra sont en gras) :

Ma chère Sandra,Si je suis, comme toi, issue de la famille des Gourmets, ce n’est pas un hasard. J’ai en effet découvert avec ravissement et délectation ta liste de mots, ce fut un vrai régal, un festin. Je te remercie pour cette invitation au voyage. Tes mots m’ont d’abord transportée en Afrique, au son des tam-tam, puis dans un jardin paradisiaque, agrémenté de mille fontaines, où virevoltaient des papillons. Hélas, ce songe n’a duré qu’un temps. Lorsque j’ai retrouvé mes esprits, je me suis sentie vide, complètement à l’ouest, et j’ai réalisé à quel point ta présence me manquait.J’ai hâte de te revoir, Sandra, d’effleurer ta peau douce, de scruter ton visage, de caresser tes cheveux d’un noir d’onyx, et de me retrouver comme au ciel, plus proche de Dieu.Je t’embrasse,Ta Moca

La lettre de Guy pour Anne Marie

Ma chère Juliane,Rien de bien neuf, je suis encore un peu vivant. J'ai conservé toute mon autonomie malgré ma cabriole avec mon tortillard. Bien sûr, j'ai bien cru finir en saucisson avec ma Maserati s'écrasant dans la vitrine.Certes, cet accident haut en couleur n'a rien changé en terme d'évolution scientifique, même s'il m'a confirmé les règles de divisibilité du corps humain. Je ne serai donc pas un lanceur d'alerte dans ce domaine, mais je compte sur ta coopération pour pouvoir tout de même être enterré correctement.    Guy

 

Jeudi 18 aout

Poème portrait un consigne de Jacques Jouet (écrivain oulipien)Après s'être observés en face à face quelques minutes et avoir pris des notes, écrire un poème à démarreurs de 11 vers (libres) suivant le schéma suivant : avec le prénom du destinataire dans le premier vers et le dernier vers qui répète le premierJe vois...

Je sais...

Je remarque...

Je souligne...

J’ignore...

Je pense...

Je suis sûr(e)...

Je me demande...

Je parie...

Je refuse...

Je vois... (le dernier vers est le même que le premier)

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Le Poème de Guy

Je vois Anne-Marie qui me regarde

Je sais qu'il s'agit d'un exercice d'écriture

Je remarque ses ongles rouges

J'ignore si elle les a peints ou collés

Je souligne que cet exercice la rend particulièrement souriante

Je pense que faire un portrait écrit est bien trop difficile

Je suis sûr que ses cinq fins colliers sont des créations personnelles

Je me demande si son bronzage est naturel et récent

Je parie que la teinte brune de ses cheveux mi longs est bien naturelle

Je refuse d'en dire plus

Je vois en Anne-Marie une image ouverte de la science mathématique.

 

Celui d'Anne-Marie

Les moustaches de Guy

Je vois en face de moi les moustaches de Guy

Je sais maintenant de quelle main il écrit

Je remarque les manches longues de sa chemise claire

Je souligne que l’oblique de ses épaules lui donnent un drôle d’air

J’ignore s’il a des yeux marrons ou noirs

Je pense que ses lunettes m’empêchent de le savoir

Je suis sûre qu’il tient sa feuille avec le petit doigt de la main gauche

Je me demande s’il s’en rend compte

Je parie qu’il n’en aurait pas de honte

Je refuse tout jugement sur sa petite manie

Je vois en face de moi les moustaches de Guy

 

Celui de Monica pour Sandra

 

Je vois Sandra

Je sais qu’elle est concentrée

Je remarque ses orteils vernis

Je souligne ses yeux en amande et ses cheveux d’un noir d’onyx

J’ignore si elle a les oreilles percées

Je pense qu’elle ne sait pas par où commencer

Je suis sûre que c’est une personne de confiance

Je me demande quelle est son histoire

Je pense qu’elle a une vie intérieure riche et mouvementée

Je refuse de l’importuner avec mes questions de peur qu’elle ne se recroqueville

Je vois Sandra

 

Vendredi 19 aout

11 heures : nous devions aller écrire en promenade mais il pleut des cordes...bretonnes. Nous commençons par écrire une heure puis ensuite nous pique niquerons avant d'aller "courir les rues".

1/La photo tournante

3 photographies en noir et blanc sont projetées (voir fichier ci-dessous), il s'agit de décrire en détail le contenu de ces images et de les mettre en relation avec leur titre et en relation les unes avec les autres (détournement de consigne autorisé, cela va de soi)

                 Le texte créé par Anne à partir de la contrainte :

Ça fait trois heures qu'elle attend dans la chaleur suffocante du couloir, elle a eu besoin de sortir. Mais comme d'habitude, dans ces foutus hôpitaux, pas moyen de trouver un banc à l'ombre près d'une pelouse. Du gris, du blanc, encore du gris. Faut croire que les architectes n'ont jamais été malades. Un rebord de trottoir un peu ombragé, près des urgences, c'est le mieux qu'elle ait trouvé.Alors elle plonge ses yeux dans le vague et pour s'évader, repense à cette aube si jolie, là-bas, dans les collines de Santa Barbara. Comme ils étaient heureux alors. Comme la vie lui semblait sereine, à contempler le soleil qui se lève dans cette clairière coupée du monde, où trônait seulement leur toute petite tente près du si grand chêne.Elle se dit alors que s'il survit, ils iraient vivre dans un endroit comme ça. Un endroit beau. Un endroit où on peut regarder les Hommes vivre mais aussi s'en défaire. Mais peut-on seulement ? Et le feraient-ils vraiment ?Elle est presque sûre que non. Mais là maintenant, ca la rassure d'imaginer les ballades d'automne à faire crisser les feuilles sous ses pieds, les grandes tablées de copains et la cheminée, la vie qui s'écoule doucement, promesse d'éternité.Une sirène d'ambulance la tire de sa torpeur. Au loin, on entend de la musique, un titre sur lequel elle aime danser seule au milieu du salon pour se défouler. Alors elle pense que non, s'il survit, c'est ça qu'ils feront, une très grosse fête, qui durera toute la nuit, où l'on dansera jusqu'à avoir épuisé toutes ses larmes, où elle chantera à tue-tête et sans honte tous ces tubes de variétés qui en font sourire certains.Elle se dit qu'après tout, s'il meurt, elle le fera aussi. Parce que c'est comme ça qu'elle veut vivre: en mouvement.

2/Proposition "Courir les rues" (GFEN Neumayer)  sémantique/sonore, d'après Queneau.

Nous nous promenons dans la ville de Lorient, dans les endroits animés à la recherche d'inscriptions, de slogans et tous supports écrits dont nous choisissons ce qui nous intéresse et nous prenons en note sur nos tablettes. Nous essayons aussi de saisir des bribes de phrases, des bouts de conversation, des mots dits par les gens dans la rue et là aussi nous prenons en note. au bout d'une heure 1/4, nous rentrons.  Au retour on attribue à chacun un titre  d'un poème de Queneau extrait du recueil Courir les rues : « Les fontaines ne chantent plus », « Les boueux sont en grève », « Fenêtre sur cour », « Les optimistes », «  « Une famille bien parisienne », « Les mouches », « les entrailles de la terre », « les herbes dans la ville » « courir les rues » « aller en ville un jour de pluie », «  Aller en ville un jour de pluie ». Chacun devra se constituer un réservoir de mots supplémentaires avec les lettres d'un nom choisi dans son titre. Ensuite chacun lit à tous son choix de 10 mots ou expressions récoltés dans les rues, tous les prennent en note. Avec ce matériau, demain c'est relâche pour l'atelier, nous écrirons dimanche ...

 

Dimanche 21 aout

Nous poursuivons l'exercice "Courir les rues" commencé vendredi. A partir  du réservoir de mots et expressions glanés dans la ville, ceux choisis parmi les notes prise par les participants et des mots créés à partir des lettres du nom choisi dans le titre attribué. Il s'agit d'écrire un texte qui développera le titre et devra en plus intégrer deux citations de Raymond Queneau :

1/Les saisons ça ne se discute pas ; 2/Les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème.”

Rappel des neufs titres : Distribution de quelques titres de poèmes de Queneau extraits du recueil Courir les rues : « Les fontaines ne chantent plus », « Les boueux sont en grève », « Fenêtre sur cour », « Les optimistes », «  « Une famille bien parisienne », « Les mouches », « les entrailles de la terre », « les herbes dans la ville » « courir les rues » « aller en ville un jour de pluie ».

Le texte de Madeleine qui s'est autorisée à ne pas intégrer les citations de Queneau :

Une famille bien parisienne

   Mon lexique : mots pris parmi les mots glanés dans la ville par le groupeet parmi les anagrammes du mot « famille » ( au moins 32).

Il a trouvé le hangar à vélos ce matin, à Kerguelen : HANGAR DULISCOUET.

Sa fille : «  t'as vu la gueule qu'il a ? »

Liam : «  trop tard, le rythme s'accélère, ton amoureux il attendra »

La fille :   « C 'est pas possible ! Les mouettes braillent, il a vue sur cour,et puis maman, il y a des épines ! »

La maman : «  J'ai vu le hangar sur Facebook et tout bien réfléchi, à chacun son vélo, à chacun sa formule : t'es trop exigeante, ma fille ! »

Liam : «  On est encore un peu en vacances !  Un pique nique ? Vers le réservoir à poissons balistes ? À Guidel Plage ? »

La fille :  «  J'aime pas les pique niques, et j'aime pas les bananes.Dégueulasse. »

La maman : «  N'importe quoi ! Même à Lorient, tout bien réfléchi,t'es trop exigeante. Et une banane avec miel ? Une bonne pâtisserie ?Une bière ? Pain beurre ? »

La fille : «  Oh là là !!! »

Liam : «  Ma fille, boire 6 à 8 bières par jour réduit le risque d'être stressée ! »

La maman : « Allez vous battre là dehors ! »

Liam : «  Là ! Le bateau, il nous apporte à Guidel Plage ! Escale bien-être !Remplissez et joingnez le formulaire pour obtenir votre carte de transport ! »La fille : «   Les mouettes braillent ! »

La maman :  «  Tout bien réfléchi, Catherine Dolto et les saisons, ça ne se discute pas ...»

La première contrainte étant "difficile" nous poursuivons par une consigne qui semble demander moins d'effort : la transformation de fait divers tirés de journaux de la presse régionale en contes qui devront commencer par "il était une fois". Les participants reçoivent chacun une carte (du CRAP) sur laquelle est inscrit un titre de fait divers.

Par exemple Anne Marie reçoit : Une jument envasée dans un rivière (Indre)

(texte qui a été lu lors du spectacle des ateliers le lundi soir)

Une jument envasée dans une rivièreIl était une fois un pays de dragons. Le prince de ce pays vivait sans se poser de problème sa vie de prince des dragons. Il avait une gueule dorée et ses jets de flammes étaient du plus bel effet en s’y reflétant. Sa vie n’était qu’insouciance et plaisirs.Un jour, c’était un mardi, il fut convoqué par son père le roi des dragons : « Mon fils, tu es en âge de te marier et j’ai choisi pour toi la princesse d’un royaume un peu éloigné mais j’ai ouï dire qu’elle est fort belle et intelligente. Tu dois aller la chercher dans le royaume de son père. C’est assez loin mais tu y seras en un coup d’aile. Ramène-la vite, j’ai hâte de la connaitre. Prends la direction du sud-nord et tu seras arrivé quand tu verras la lune se lever. »Le jeune prince, très heureux de cette bonne fortune, déploya ses ailes et s’envola vers sa promise. Le sud-nord, facile ! un coup d’aile, facile ! la lune se lève, le voilà arrivé.Le prétendant se posa sur la Grand Place et s’avança vers le château. Personne en vue. Intrigué, il regarda de gauche et de droite poursuivant son chemin. La porte principale s’ouvrit à son arrivée. Il entra. Deux garde-chevaux lui firent signe de ne pas faire de bruit. Il poursuivit sa route sans émettre le moindre son et entendit des sanglots et des cris. « Ma fille ! où est ma fille ?» hennit le souverain sur son trône.Le prince avait peur de comprendre : « Comment cela, ta fille a disparu ? s’agit-il de ma promise ? » « ouiiii » hennit le roi. Le prince ne savait pas s’il devait être inquiet ou en colère, il reprit : « Grimpe sur mon dos, nous allons la chercher ! » Ainsi fut fait.En quelques battements d’ailes de dragon, vous pensez bien que le royaume des chevaux fut vite exploré. Ils repérèrent la jeune jument envasée dans une rivière.L’histoire ne dit pas comment ils la sortirent de là … mais la princesse expliqua qu’elle avait une peur bleue de se faire rôtir et elle préférait finir ses jours dans l’eau plutôt que par le feu. Le jeune prince lui jura qu’il ne se servirait jamais de ses flammes en sa présence.On dit que les dravaux nés de cette union règnent toujours sur le royaume des dragons.Anne-Marie, 21/8/16

 

Lundi 22 aout

Première heure :

6 enfants qui participent aux rencontres nous rejoignent ce matin pour écrire avec les adultes pendant une heure, ils ont entre 6 et 15 ans enfin on devrait plutôt dire elles ont car se sont uniquement les filles qui ont choisi cet atelier.

Nous allons commencer par des inventaires, le plus connu celui de Perec "je me souviens" et puis un proposé par François Bon : les lieux réels ou imaginaires où j'ai dormi.

En parallèle on peut aussi évoquer, dans une forme poétique, les fenêtres qui ont compté dans sa vie : fenêtre de l'enfance, fenêtre prise au quotidien, fenêtre de cuisine, fenêtre d'école, fenêtre mobile (vitre du train, de la voiture, du bus), etc

 

- Lieux où j’ai dormi

J’ai dormi, ou tenté de le faire, dans ma chambre d’enfant à Prague, au son du grondement menaçant des tanks soviétiques.

J’ai dormi dans de beaux hôtels, au frais de la municipalité. Merci papa !

J’ai dormi dans des trains couchette, réveillée par l’allumage des lumières, comme des phares dans les yeux : « Douane, vos passeports s’il-vous-plaît ! »

J’ai dormi, ou tenté de le faire, sur un banc devant la gare de Zürich, agrippée à ma valise, apeurée par les SDF et les ivrognes.

J’ai dormi à la maternité, en me demandant ce qui allait m’arriver et qui allait m’arriver.

J’ai dormi dans l’appartement vide de ma mère, priant pour qu’elle soit encore en vie le lendemain.

Moca Vinyle

Nous poursuivons par un Renga, cette forme d'écriture collective inspirée des formes de poésie japonaise ressemble aussi au cadavre exquis. Il s'agit de commencer une histoire (là le démarreur peut être pris dans les inventaires réalisés précédemment ou parmi les textes écrits depuis le début de la semaine) à ce stade de l'atelier personne n'est en panne pour commencer. Au bout de 6 à 7 minutes on échange son texte avec quelqu'un, l'idée étant de poursuivre le nouveau texte que l'on a entre le main en essayant de conserver, le style, le registre, l'idée lancée par l'auteur initial. Ainsi après 4 ou 5 échanges durant lesquels les animateurs vont demander des changements de lieux, des nouveaux personnages, des intégrations de citations et vont à chaque fois d'arrêter le texte dans le mot même en cours d'écriture pour échanger, l'auteur d'origine va récupérer son texte et écrire en quelques minutes la conclusion, l'épilogue, enfin la fin quoi.

L'heure de l'après midi sera consacrée à faire des choix de textes pour le spectacle du soir mais avec 4 minutes c'est bien trop court pour donner une idée de la richesse de cette semaine d'écriture. Le choix s'arrêtera donc sur des formes courtes (inventaire) pour que tous-tes puissent participer et le conte d'Anne Marie qui sera dit par Romain et Guy.

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