Je suis particulièrement inquiète de ce que je découvre peu à peu de la formation sur la réforme du collège. Sur les 4 équipes que j'accompagne dans le cadre de la Cardie, qui font du très bon travail pour les élèves et leur collège, qui font vivre des projets tout à fait dans l'esprit de la réforme (motivation des élèves par de nouveaux modes d'intervention, appui méthodologique, éducation citoyenne, développement des compétences à travers des activités interdisciplinaires et des productions, travail en équipe des profs et des éducateurs...), 3 sont déjà invitées à lâcher ces projets qui commençaient à produire des effets bénéfiques.

Le "Pôle excellence scientifique" s'arrête en juin, les profs font leur deuil, douloureusement. Cette action avait fait l'objet d'un article dans les Cahiers pédagogiques pour montrer que le travail en équipe interdisciplinaire pouvait marcher et que ce projet qui préfigurait bien les futurs EPI rendait les profs heureux et les élèves plus motivés et compétents. Oui mais ce projet est arrêté en juin, c'est acté. Il semble évident pour la Principale qu'il est incompatible avec la réforme.

Le projet "Lettres et culture" inspiré par le travail de Serge Boimare, qui vient d'ailleurs dans le collège le 1er avril pour échanger avec les enseignants sur la mise en oeuvre de ses principes, risque de s'arrêter aussi. Les formateurs ont expliqué aux enseignants que ça prenait trop d'heures, trop de profs, que c'était trop long sur l'année, pas assez scolaire, trop transversal... que ça ne rentrait ni dans l'AP ni dans l'EPI et qu'il valait mieux abandonner pour créer de nouveaux projets "bien dans les clous". L'équipe qui s'investit depuis 3 ans dans ce projet, mis en oeuvre pour la deuxième année, est complètement démotivée et sur le point de baisser les bras. "Ça nous a demandé tellement d'énergie pour y travailler ensemble que ça nous décourage d'entendre qu'il faut s'arrêter là alors que nous commencions à voir les fruits de notre travail, à apprendre à travailler ensemble."
Le projet "DNB pour tous" risque aussi de s'arrêter puisqu'il est adossé à la DP3 qui saute.
Je m'attends à ce que "Passerelle vers la réussite" soit déclaré aussi hors les clous prochainement et également sacrifié sur l'autel de la réforme.

Je suis favorable à la réforme du collège, globalement. Mais là j'avoue commencer à douter. S'il s'agit de faire table rase du passé, y compris de ce qui marchait, des innovations des équipes qui étaient déjà dans l'esprit de la réforme avant la réforme... je ne suis plus d'accord. Nous risquons de perdre le dynamisme et la créativité des enseignants qui soutenaient la réforme et qui va-t-il rester alors pour la mettre en oeuvre et la faire vivre et évoluer ? Ses opposants ! On peut compter sur eux pour faire semblant de "rentrer dans les clous" tout en faisant... comme avant.

Ce que j'entends sur la formation qu'ils "subissent" est atterrant (Je ne dis pas que c'est partout pareil). "On nous fait des formations pour qu'on ne puisse pas s'exprimer. On nous écrase avec un énorme diaporama et on refuse de répondre à nos questions en nous disant que toutes les réponses à nos questions sont dans le diaporama. C'est une forme de mépris de considérer que toutes nos questions ont déjà été anticipées par le formateur qui ne nous connait pas et qui ne connait pas nos projets ni nos difficultés."

Je me sens très impuissante à aider les équipes en désarroi et je ne sais plus quoi leur répondre quand ils se sentent lâchés par les inspecteurs, les formateurs, les chefs d'établissements. Cela me rappelle l'époque où je répondais aux appels à projets innovants pour financer nos actions pédagogiques et où on me disait "Vous ne rentrez pas dans les cases". Ça ne relève pas de l'injonction paradoxale ça "Innovez dans les cases prévues à cet effet" !

Rebonds 14

1) Bonjour, NicoleJe comprends ta colère et  le découragement des équipes .Quelle part d’initiative laisse-t-on aux enseignants? De quelle autonomie disposent-ils? Qu’est-ce qui empêche d’adapter les dispositifs en place s’ils sont aussi proches que tu le dis de la réforme future? Au lieu de s’appuyer sur les acquis des enseignants et des élèves pour aller plus loin, un système rigide risque de donner un coup d’arrêt et de faire perdre confiance à tout le monde.Je n’ai jamais connu de dispositifs qu’il ait été impossible d’aménager.  Les barrières et les freins sont plus souvent dans la tête – mais dans laquelle ? - que dans les faits.Cependant, si la direction pense ne pas pouvoir y arriver ou ne le veut pas, cela me semble mal parti.Si j’étais en fonction, j’organiserai une réunion de travail avec les équipes concernées, leurs accompagnateurs ( CARDIE ou chercheurs), je mettrai côte à côte sur la table les projets existants et les dispositifs demandés pour étudier comment peut se faire l’adaptation, et à quel coût.BisesMichèle Amiel

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 Bonjour,

Dans mon académie, le discours dominant est de faire rentrer dans le cadre de la réforme ce qui se faisait déjà. Si dans la tienne il y a une entreprise de sabotage telle que ce que tu nous dis, il me semble qu'il faut s'alerter.

1 - Qui affirme que tous les projets dont tu nous parles ne sont plus possibles ? Les formateurs ? Les chefs d'établissement ? Les IPR ? Le Recteur ? Il y a manifestement un déficit de communication qui nécessite, comme le dit Michèle, que les différents acteurs se réunissent d'urgence pour s'entendre sur le sens de cette réforme.

2 - Compte tenu de la circulation des informations et de la dynamique de démotivation dont tu nous parles, on ne peut plus s'appuyer, pour relancer la machine, seulement sur les cadres intermédiaires et leur belle parole qui est déjà discréditée aux yeux des acteurs de terrain. Je pense qu'en tant que responsable du CARDIE, tu dois d'urgence lancer un message d'alerte comparable au message que tu nous as envoyé, contournant les formateurs qui, manifestement, sabotent la réforme. Cela pourrait se faire auprès du Recteur en réclamant, exemples à l'appui, une réunion d'urgence des acteurs concernés, et en direction des différentes équipes suivies par le CARDIE, en leur proposant d'examiner avec elles, une à une, les moyens de conserver ce qu'elles font dans le nouveau cadre.

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Oui, ça met bien en colère cet effet gyroscopique de la structure qui veut toujours tout ramener dans les clous. Quand il y a une avancée pour le gros des troupes, il y a toujours quelqu'un pour freiner ceux qui ont provoqué cet avancée ( jalousie, frilosité, conformité... )Assez d'accord avec Michèle sur la méthode.J'ajouterais que l'article L401.1 du code de l'éducation n'est pas abrogé et qu'il faut le faire vivre!Guillaume Touzé

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Geneviève Frame

 

Dans mon secteur, effectivement, une formation d'initiative locale, école/ collège, sur le thème de l'évaluation, fléchée "réforme du collège" pour que ça passe mieux, a été refusée par le rectorat : "cette année on ne fait que les formations officielles réforme du collège" . Voilà qui va dans le sens de ce qui désole Nicole et tant d'autres...La différence, c'est que notre chef, en douceur et fermeté, travaille à fond pour la continuité entre ce que les équipes avaient mis sur pied et ce que demande la réforme. A mesure qu'on progresse dans la mise en place, il est vital que soient préservés les acquis des équipes dans l'esprit de ce que propose Michèle.Et j'ai bien l'impression que ce maillon-là, celui du chef d'établissement, va être essentiel pour que les équipes ne vivent pas ces injonctions paradoxales dont tu parles.Autre maillon, celui des formateurs. Là où  ils se conduisent en bureaucrates, effectivement ça va faire du mal comme une parodie de "grand bond en avant" maoïste purement idéologique.Pas de potion miracle dans ce que je dis là pour les maux dont parle Nicole, mais l'assurance en tout cas que ceux qui découragent les équipes en voulant rompre avec l'existant se trompent complètement sur l'esprit de la réforme.

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5) Merci de ces points de vue. Comme le suggère Yann j'avais effectivement envoyé une alerte à la Cardie avant de confier mes inquiétudes à la liste. La question sera abordée durant une réunion des responsables prévue la semaine prochaine et nous allons voir comment accompagner les équipes déstabilisées au mieux.

Pour ce que j'ai compris, ce mouvement de sape vient des formateurs, parfois inspecteurs, et des chefs d'établissements. J'ai l'impression qu'ils se disent que ce sera plus simple de construire de nouveaux projets modestes et  "calqués" sur la réforme que d'adapter l'existant pour le faire entrer dans les clous administratifs. Comme pour toutes les réformes dans l'enseignement il y a une approche comptable et une approche pédagogique, certes il faut articuler les deux mais je pense qu'il faut entrer par l'esprit et ce qui fait sens pour les élèves et les profs et non par la forme, le packaging.

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Merci Nicole pour ton message.

Ce que tu décris ne m'étonne pas et en même temps me révolte profondément.Voilà comment l'éducation nationale détruit des personnes et des équipes, avec les meilleures intentions affichées.

La réforme n'est qu'un moyen, pas un but !!!

Voyons plus loin : notre service public travaille pour les enfants, les familles, les écoles, les générations futures, que sais-je ? Pas pour le gouvernement, ni pour la ministre, et encore moins pour lui-même !

L'esprit de la réforme s'incarne nécessairement dans les personnes, qui sont formées-déformées-formatées par le milieu professionnel dans lequel elles exercent, inconsciemment ou non, et nous en faisons partie. Ce n'est pas parce que nous adhérons au CRAP que nous ne sommes pas influencés voire façonnés par notre milieu quotidien de travail, d'une façon ou d'une autre, milieu relationnel mais aussi, comment dire, normatif ou prescriptif ou... Ce que je veux dire c'est que dans cette réforme, beaucoup de choses sont liées à la manière dont chaque maillon de la chaîne interprète le "texte de la loi", dans tous les sens. Rien que de parler d' "esprit de la réforme", c'est une façon de "lire le texte de la loi" qui n'est pas forcément partagée ou en tout cas qui demande des lieux de parole pour être partagée et, encore une fois, je me répète, il n'y a pas de lieu de parole dans l'organisation actuelle de l'institution. Au contraire, tout est fait (consciemment ou non) pour limiter les "regroupements professionnels" qui pourraient être constructifs et cet aspect est d'autant moins visible qu'au même moment, l'institution affiche des obligations de réunion cadrée, comme les fameux conseils pédagogiques, qui peinent à s'instaurer pour des raisons structurelles plus que d'opposition syndicale, sans parler des "journées de formation" où la parole des professionnels est confisquée...

Il ne reste plus que les soirées tartiflettes ou les galettes des rois.

Comment ne pas être dégoutée ? Moi j'y ai cru, à la réforme, aux nouveaux programmes, à la pédagogie, à la didactique... J'y crois même encore...

J'espère et j'attends impatiemment de lire sur cette liste ou les cercles des témoignages de profs qui montreront que la réforme aura été positive chez eux.Ceux-là ont sans doute autre chose à faire en ce moment que de se mettre en colère comme je le fais. Qu'ils en profitent ! Les chanceux...

Nicole : il faut lutter ! Défendre les projets des équipes envers et contre tout ! J'espère que tu nous raconteras comment vous avez fait pour vous opposer au travail de "sape" (qui a sûrement sa raison d'être : les formateurs et les chefs ne sont pas plus méchants que les autres....)

Agnès Berthe

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Bonjour,L'expérimentation n'est pas enterrée avec la réforme. Celle-ci a pour objectif, entre autre et si je l'ai bien comprise, que des pratiques comme celles que tu décris Nicole se diffusent et se multiplient dans l'institution. Ce serait donc un non sens qu'elles disparaissent.Guillaume a cité l'article 401.1. Que les équipes s'en saisissent .D'autre part, la réforme n'est pas l'addition Ap+ Épi. C'est bien plus vaste, plus ambitieux et plus riche. Personne n'a cité les parcours par exemple. Ce que tu décris Nicole me semble relever du parcours Avenir pour lequel il y a des publications sur Eduscol.Quant à l'attitude et au fonctionnement des formateurs... Le goudron et les plumes? La compassion pour leur position intermédiaire délicate?Nous sommes entre adultes et professionnels, le dialogue doit être possible.

Annie di Martino

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Renée Bisous

 

Bonjour et merci beaucoup pour vos échanges et coups de gueule sur cette articulation réforme et projets antérieurs.

En tant que chef d'établissement, nous nous posons cette question des projets déjà existants.Je prends l'exemple de mon établissement. il y a au moins trois projets très forts avec des équipes de profs investis  sauf que lorsque je suis arrivée, je me suis rendue compte que deux de ces projets sont proposés à des élèves qui ont été sélectionnés. Lettre de motivation... ces projets sont aussi en plus des programmes, en dehors des programmes... Et pourtant ils ont vraiment du bon. Bien sûr que j'ai parlé avec les enseignants de mes réticences sur ces deux points. Deux des enseignants sont des chargés de mission et chargés donc également de la formation de leurs pairs. Donc ils savent de quoi je parle. Au passage ces deux classes ont été montées à la demande de mon prédécesseur qui voulait redorer le blason du collège. Actuellement, nous cherchons des pistes pour que ces projets puissent être à la fois sauvegardés et accrochés aux nouveaux programmes. Parfois au prix d'acrobaties.

Et puis; lors de sa dernière allocution, notre recteur a dit qu'il ne fallait pas détruire les projets existant qui marchaient. Qu'il faisait confiance à notre capacité de jugement pour savoir s'il fallait les garder ou les abandonner... Mais de l'autre côté, l'injonction, c'est de ne pas dépasser les 26 heures élèves. Mais que finalement si ça se justifie on peut... Et là je me pose la question de la loyauté à l'institution... C'est compliqué... Et c'est une question qui taraude tous les chefs d'établissement. Parce que le co-enseignement et le dédoublement, pour quoi faire, comment on l'utilise?Mais vous savez quoi, j'ai pris ma décision de garder des moyens pour des mini dispositifs "sas" pour mes élèves les plus décrocheurs, les plus violents, les plus en souffrance  parce que ce n'est pas par un coup de baguette magique que je vais changer le regard de toute une communauté éducative; en fait je me donne les moyens d'un dispositif pour recevoir, écouter, structurer ces gosses si mal dans leur peau. Je suis hors les clous? Tant pis. Les choses se construisent petit à petit. Et si ça me permet de faire moins de conseils de discipline je suis pour.

Pour moi la réforme c'est de donner des moyens pour être vraiment dans l'accompagnement et le développement de la créativité des élèves. D'aider à construire cette autonomie qui est décrétée à tout champ et jamais construite. Et j'ajoute que je ne suis pas en REP mais je devrais l'être. Une petite erreur de calcul selon mon Dasen...

J'ai un collègue chef d'établissement en REP+ qui a mis en place sous l'impulsion d'un professeur, des conseils des élèves, à la Freinet, sur tout le niveau 5e de son établissement (4 classes), les profs ont été formés par le professeur initiateur qui lui- même avait été formé auparavant. Enfin bref, ça fonctionne très bien. Quelle question se pose mon collègue? Où va-t-il bien pouvoir "rentrer" ce dispositif dans les nouvelles structures de la réforme? l'AP? Les EPI? Dans le cadre de l'EMC?Ddans le cadre du parcours...??? Il va peut-être le faire en plus finalement, peut-être dans le cadre des heures de vie de classe.

En fait, en tant que chef d'établissement on est quand même bien embêté aussi. On sait ce qu'on a et quand c'est bien on n'a pas envie de le perdre. Et tout cas, c'est pas facile à construire tout ça. Surtout aussi parce que ce collègue et moi-même nous avons eu un blocage quasi total lors des journées de formation. Pour ma part, j'ai aussi eu un blocage lors des conseils  d'enseignement que j'ai mis en place. "Mme Bisous, nous parlerons de tout sauf des EPI et AP". Qu'à cela ne tienne et nous avons travaillé sur le projet d'établissement; et comme notre DGH est bonne, dans une semaine, nous faisons un gros conseil pédagogique élargi pour l’articulation Projet d'établissement / actions / services des enseignants. Et dans les actions, il y a les projets, ceux des EPi et les autres, et l'AP.  Et j'espère que là nous pourrons enfin vraiment commencer à réfléchir tous ensemble. 

Ce que je veux dire aussi, c'est que c'est vachement difficile de construire quelque chose de neuf, qui demande une prise de risque, et de sentir tout le monde à cran et dans la méfiance. Et de m'entendre dire "Mme Bisous, ce n'est pas contre vous", ça ne me console guère. Grosse réflexion à mener d'ailleurs aussi de l'utilité (ou pas) d'avoir un chef d'établissement (autre que celle de le parer de tous les maux). Mais c'est une autre histoire...  

Ah oui! J'oubliais l'essentiel, nous allons lancer une réflexion sur l'évaluation. Nous allons peut-être même tenter une classe expérimentale à évaluation par compétences (à la demande de certains professeurs). Parce qu'à mon sens si on ne travaille pas sur le rôle de l'évaluation, et qu’on se focalise uniquement sur l'AP et les EPI, c'est l’arbre qui cache la forêt, celle de l’esprit de la réforme à ne pas perdre de vue.

 

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Merci Renée de nous expliquer pourquoi c'est si compliqué de trouver la bonne voie pour mettre en oeuvre la réforme. Je sais que les collèges REP+ que j'accompagne ont une baisse de DHG, ce qui ne simplifie pas les choses sûrement, je me demande si la Ministre n'avait pas dit que l'éducation prioritaire serait préservée. Les enseignants parlent beaucoup en effet des 26 heures plafond qui empêchent de conserver des dispositifs qui marchaient bien pour la prévention du décrochage ou comme le projet Boimare. Effectivement on peut être amené à modifier les projets existants pour qu'ils entrent dans les programmes puisque APE et EPI sont à prendre sur les heures disciplinaires mais ça relève souvent de la quadrature du cercle et je pense que c'est pour cela que certains formateurs préfèrent  repartir sur du neuf. Mais cela provoque des dégâts sur la motivation des enseignants.Nicole

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