Y a-t-il place pour l’accompagnement dans le système actuel ? 

Plus ou moins détourné au prétexte que le temps manque pour « faire le programme », souvent mal compris du fait de l’opacité des textes qui l’encadrent, l’accompagnement personnalisé peine à se mettre en place.

L’idéologie éducative dominante comme obstacle
L’accompagnement n’est pas une invention de l’école. C’est d’abord une pratique largement répandue dans le domaine social et les soins. L’accompagnement authentique consiste en une écoute et un travail sur la parole. Il vise la construction d’un rapport empathique à l’autre et d’une image de soi positive nécessaires pour assumer sa propre existence. Dans le domaine éducatif, il doit permettre à l’élève de se penser comme sujet connaissant. Il permet une expérience reposant sur la coopération, la solidarité, le respect de l’autre. Il peut déboucher à tous les âges sur des choix valorisants. Il suppose une continuité de la relation entre l’accompagnant et l’accompagné.

À l’école, il faut inventer des activités adaptées, traiter collégialement la parole recueillie, assumer les implications éducatives. Y a-t-il place pour l’accompagnement dans le système actuel ? L’école subit le trop plein des volontés politiques, les prescriptions plus inspirées par la transmission de contenus et d’organisation de moyens que par le développement des personnes. Il faut remplir le temps : pas de temps pour penser, il faut écouter, mémoriser et surtout être évalué ; pas de temps pour la parole libre, il faut « faire passer un message » ; pas de temps pour apprendre à vivre ensemble, il faut se conformer à des valeurs. Dans un contexte considérablement rigidifié ces dernières années, la notion d’accompagnement a été introduite peut-être par un effet de mode, peut-être à « l’insu du plein gré » des rédacteurs des textes, assurément sans une réelle représentation du changement de perspective éducative qu’elle impliquait… et donc des moyens – organisation, formation des enseignants, accompagnement des équipes - qu’il fallait y consacrer pour qu’elle se traduise dans les faits.

Pour définir l’accompagnement, un usage bien enraciné à l’Éducation nationale conduit à accumuler des termes dont les frontières sont floues (accompagnement personnalisé, accompagnement éducatif, accompagnement scolaire…). Les activités retenues sont celles qui ne rentrent pas dans le catalogue des programmes. Elles sont donc le ventre mou de l’organisation scolaire et sont tributaires de la dichotomie bon élève/élève en difficulté : aide, soutien, consolidation, approfondissement, remise à niveau etc. Les indications de contenus sont elles aussi disparates, des études dirigées à la remise à niveau en maths et français ou à l’entraînement à l’oral en langues… Le point commun de ces listes est de constituer un catalogue à la Prévert d’activités, sans autre lien que le fait qu’elles ne peuvent être menées dans l’organisation actuelle des études parce qu’aucun temps n’est disponible pour faire autre chose que traiter les programmes. Seule exception intéressante, l’aide à l’orientation au lycée qui a un lien modeste, mais significatif, avec la notion d’accompagnement.

À quelles conditions l’accompagnement peut-il devenir effectif ?
Orientée vers la transmission, peu friande de collégialité, mal préparée à la conduite de situations où l’enjeu prioritaire est le développement personnel et la relation au savoir et au groupe, la profession est de plus en plus inadaptée aux besoins éducatifs. Le ripolinage à coup de numérique n’y changera rien. L’apport du numérique ne peut être que technique. Les choix pédagogiques priment sur les outils. En revanche, l’éducation de la personne demande un engagement professionnel au-delà de la bonne volonté et de la sympathie. Louis Legrand vient de mourir. C’est l’occasion de se souvenir du rapport qu’il remit à Alain Savary en décembre 1982 (Pour un collège démocratique). Il y préconisait, entre autres mesures, de mettre en place un tutorat qui devait permettre à l’élève de fonder son orientation par des choix assumés et de bénéficier d’un suivi tout au long de sa scolarité. Souvenons-nous aussi de l’opposition frontale du SNES, accusant Legrand de vouloir transformer les enseignants en « assistantes sociales » et des attaques virulentes dont il fut l’objet au nom d’une conception bornée de la laïcité (déjà !) : le tutorat serait de « la charité chrétienne, (du) boy-scoutisme et (du) pelotage des élèves ». (1)

Trente ans plus tard, l’opposition à toute forme de suivi a pris d’autres formes, moins violentes mais tout aussi efficaces. Il s’agit de « récupérer » des heures supposées soustraites aux enseignements. Outre la mauvaise qualité des textes du ministère, il faut bien reconnaître que la résistance est nourrie par le manque de formation (initiale et continue) des enseignants pour ce type de tâche. Il suffit pour s’en assurer de lire le livre remarquable de Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau (2)  et de comprendre que l’on ne s’improvise pas accompagnateur. Il y faut de la compétence d’animateur, du courage, une solide capacité d’analyse, un travail collégial. Gérard Wiel a décrit le changement de posture impliqué par la conduite de l’accompagnement et qui devrait faire l’objet d’un véritable travail de formation (3). Quels ESPÉ consacrent du temps à la formation à l’écoute ? Comment le diplôme professionnel tient-il compte des compétences nécessaires à la prise en charge de l’accompagnement ?

Pour donner du sens à l’accompagnement, il faudrait que l’organisation des études sorte de sa rigidité et des ruptures arbitraires entre années scolaires. À quoi bon accompagner puisque rien ne peut changer sauf l’élève lui-même… quand bien même il n’en a pas les moyens ? On ne peut plus s’abriter derrière une rhétorique jules-ferriste  (4) - adaptée à une société qui n’est plus - pour refuser la différenciation de la pédagogie. Il est temps de reconnaître que des expériences anciennes d’organisation souple, de modularisation, d’évaluations formatives, d’apprentissage par la coopération etc. ont réussi là où l’organisation traditionnelle marginalise, fait échouer ou décrocher les élèves les plus vulnérables socialement. Il faut offrir la possibilité d’apprendre à son rythme, de bénéficier d’une entraide entre pairs, de pouvoir décider de réorientations non pénalisantes, d’être reconnu quelles que soient ses compétences (même si elles ne sont pas scolaires)… Dans cette perspective, l’accompagnement - à condition d’être continu sur toute la scolarité, d’être commun à tous les élèves et de reposer sur une coopération avec les familles - devient la ressource privilégiée pour connaître les élèves, tenir compte de leurs besoins, leur permettre de construire un rapport positif au savoir et les introduire dans l’apprentissage d’une société démocratique. Il devient la colonne vertébrale des études.

L’école maltraitée par le politique
Depuis Durkheim, nous savons que l’école est le moyen privilégié de perpétuer l’organisation sociale. C’est pourquoi l’élite la prend ouvertement en otage et confisque le débat sur l’éducation. Le discours néo républicain (5)  impose une pensée unique contre laquelle les exclus peinent à se dresser autrement que par la violence. La récupération par les contre-cultures ne s’explique pas seulement par le chômage et la pauvreté. Elle s’explique aussi par l’impossibilité de se faire reconnaître dans sa différence. La crispation sur la place de l’islam dans la société française est le signe le plus dramatique de cette impossibilité. La conception restrictive de la laïcité joue un rôle décisif dans le malaise de l’école même si de plus en plus de voix s’élèvent pour considérer que le discours « phobique »(6)  sur la laïcité est une trahison de l’esprit de la loi de 1905 : « La loi de 1905 n’exclut pas le religieux de l’espace public mais l’organise »(7) . L’astuce consiste à admettre juste une dose de reconnaissance du mérite, une dose de compassion pour les laissés pour compte, une dose de compensation pour les plus pauvres, pour finalement laisser les choses en l’état. Les évolutions sociales profondes peuvent alors être rationalisées dans un discours « hors sol » qui déplace les tensions ou les réduit à des questions de morale ou de citoyenneté. C’est le cas par exemple du déplacement des enjeux du débat sur le multiculturalisme vers des questions raciales et religieuses.

L’accompagnement relève d’une idéologie alternative. On peut estimer qu’elle s’est cristallisée dans la dernière décennie dans « la théorie du soin ». Celle-ci fit l’objet de débats (modestes et rapidement étouffés par les jeux politiciens à la veille de l’élection présidentielle) quand les dimensions morale et politique de cette théorie furent mises en lien notamment dans l’entourage de Martine Aubry. Sur le plan moral, le concept de soin désigne tout à la fois une l’attention à l’autre et la sollicitude à son égard. Il renvoie à un ensemble de pratiques d’écoute et de co-construction d’un savoir social cohérentes avec cette attitude. Sur le plan politique, la théorie du soin inspire clairement une conception alternative de la société : la présence sociale versus l’esprit gestionnaire, une démocratisation des rapports sociaux (démocratie délibérative (8)) versus la citoyenneté néo républicaine autoritaire et centralisatrice, une économie de l’entraide et de la proximité versus l’économie néolibérale globalisée(9) . Il n’est pas question ici de trancher le débat, mais d’observer qu’il existe d’autres façons de concevoir la société et par conséquent l’éducation. L’accompagnement bien compris représente enfin l’occasion de donner la parole aux élèves dans un contexte cadré par des règles, de travailler cette parole pour favoriser la conscience de soi et la compréhension de l’altérité. Loin d’être antagoniste de la construction de la connaissance, l’accompagnement offre une chance d’établir un lien véritable entre enseigner et éduquer.
Françoise Clerc
20 novembre 2015

(1) Cité par Claude Lelièvre, Blog,  22 octobre 2015.
  (2) Bourreau, J-P., Sanchez, M., (2013), Rendre la parole aux élèves : Clés pour les accompagner sur les voies de la réussite, Lyon, Chronique sociale.
  (3) Wiel, G., Levesque, G., (2009), Penser et pratiquer l'accompagnement.
Accompagnement et modernité. De la naissance à la fin de vie, Lyon, Chronique sociale.
 (4)  Terme utilisé par Philippe Corcuff.
 (5)  Confavreux, Joseph, Turchi, Marine, Aux sources de la nouvelle pensée unique : enquête sur les néo républicains, Médiapart, Enquêtes, 27/10/2015.

(6) L’expression est d’Olivier Roy.

  (7) Dans son entretien à Libération (Catherine Calvet et Anastasia Vécrin le 3 octobre 2014), «Le jihad est aujourd’hui la seule cause sur le marché», Olivier Roy soutient : « On a sacrifié la culture à l’identité, et de l’identité rien ne sort : ni culture, ni universel. »
(8)   Sur les différentes formes de démocratie et leurs enjeux dans les rapports gouvernants-gouvernés : Rosanvallon, P., (2015), Le bon gouvernement, Paris, Seuil.
  (9) Garrau, Marie, Le Goff, Alice, (2010), Care, justice et dépendance: introduction aux théories du care. Paris, PUF.

Rebonds 3

votre constat et analyse sont d'une pertinence qui nourrit ma motivation pour persévérer dans la voie du changement.

Je me définis comme "accompagnant" avec toute la subtilité que vous définissez

je regrette que les ressources qui peuvent porter cet "accompagnement" au sein des établissements ne soient pas accueillies, mettant ainsi en relief le paradoxe entre le souhait de changement voulu dans le monde de l'éducation nationale sans vraiment s'en donner les moyens ... les peurs, les résistances, le manque d'humilité sont autant de freins à l'intégration de ressources nouvelles aux compétences complémentaires qui permettraient un "accompagnement" tel que vous le préconisez.

alors fleurissent des initiatives colatérales qui sont des satellites au monde de l'éducation nationale. Il me semble qu'il est plutôt souhaitable que ces ressources innovantes intègrent (aussi) le système éducatif avant que celui-ci sombre encore plus (PISA, décrochage en augmentation  ....).

Mon expérience d'accompagnant en milieu universitaire démontre l'absolue nécessité d'un accompagnement tel que vous le définissez, tenant compte de la singularité de chacun, de son humanité et non seulement à ses capacités "techniques" d'apprentissage.

Les élèves et étudiants ont besoin de guidance, de sens, que seuls les parents et enseignants ne peuvent pas apporter

C'est pourquoi j'ai choisi la posture du coaching, qui n'est ni celle de l'enseignant, ni celle du parent, mais qui permet à l'apprenant à ne plus être uniquement un apprenant passif, mais un citoyen acteur de son projet

merci pour ce remarquable article qui restera pour moi une référence

"C'est pourquoi j'ai choisi la posture du coaching, qui n'est ni celle de l'enseignant, ni celle du parent, mais qui permet à l'apprenant à ne plus être uniquement un apprenant passif, mais un citoyen acteur de son projet"

Bonjour,

Je réagis à votre remarque sur la posture du coaching . On voit partout fleurir ce thème, un coach pour faire de l'exercice, un pour la diététique, un pour le développement personnel et même dans le milieu éducatif, le coach pour l'orientation. Bon, cela c'est la mode et le business; ce n'est pas la posture que vous avez choisie.

Cependant, je ne comprends pas bien cette différence que vous mettez dans le coaching de celui qui apprend qui résiderait dans  son attitude active et responsable .Dans l'accompagnement tel que le comprennent Michèle Sanchez/Jean-Pierre Bourreau et Françoise Clerc, l'élève ou l'étudiant ne sont absolument pas des réceptacles passifs , tout au contraire.

Alors, pourriez-vous un peu (ou beaucoup) préciser ce que vous entendez par coaching?

Michèle Amiel

Michèle Amiel Proviseure honoraire, le 30 Novembre 2015 à 09:58

A Michèle Amiel

merci d'avoir rebondi sur mes remarques à propos du coaching ..

Tout d'abord je me permets de vous préciser que le coaching n'est pas que "mode et business" comme vous le formulez, ce qui égratigne la profession et les coaches sérieux dont je fais parti. Je ne me permets d' ailleurs pas de porter de jugement sur la profession d'enseignant que je respecte.

Le coaching a autant de diversité d'applications (mode, sport, alimentation, éducation, orientation ..) que vous comptez de disciplines dans l'enseignement, c'est un processus directement inspiré de la maïeutique de Socrate où l'individu est mis en capacité de trouver ses propres solutions à ses problématiques identifiées.

L'art du coaching est d'aider à clarifier une demande ( projet, objectif à atteindre ...) et une (des) problématique(s) (frein, peur, résistance, évitement, fuite ...)  qui parasitent ou empêchent l' atteinte des objectifs.

Le coaching permet à l'accompagné de révéler ses ressources mais aussi ses limitations à transformer en ressources au service du projet qu'il aura identifié, et de lui permettre de découvrir et mettre en place les moyens pour y parvenir.

Dans le coaching , il n'y a aucune obligation de résultats car l'accompagné  seul décide. Le coach lui permet une vision à 360° (ce que l'accompagné n'a pas vu, ne veut pas voir, a entrepris, a peur d'entreprendre, ne veut pas entreprendre, veut réussir, échouer, saboter ...)

C'est en cela qu'il est "acteur" car il a la décision finale et choisit les options, en conscience éclairée. Le coach l'éclaire et l'interpelle sur les conséquences de ses choix (ou non-choix), et trace avec lui le parcours en l' évaluant et ajustant au fur et à mesure, toujours avec la validation de l'accompagné.

Le coach devient ainsi le premier "supporter" de celui qu'il accompagne (le coaching est issu du monde du sport, j'ai été 5 ans coach d' athlètes de haut niveau)

Il me semble que la posture de l'enseignant est différente

Dans ma pratique auprès des étudiants des universités, la posture de coaching permet de valoriser leur potentiel souvent mal identifié (par la méconnaissance qu'ils ont d'eux-mêmes), de leur faire prendre confiance en eux, de donner du sens à leur itinéraire et orientations ... Cela passe indispensablement par une meilleure connaissance d'eux-mêmes, leur permettant de tirer enseignement de leurs expériences en matière de compétences et qualités, et de valoriser leurs ressources.  Le coaching permet à chacun d' accéder à la réussite ...

Je remarque par ailleurs que de nombreux étudiants semblent bien mal orientés et répondent plutôt aux injonctions et prescription parentales et du corps enseignant qui ne correspondent pas toujours à l'aspiration profonde de chacun d'eux. Ils se sentent in-entendus et in-écoutés par un monde d'adultes qui les contraint. Le coaching devient alors efficient pour clarifier le projet et l'orientation du jeune. Ils sont par ailleurs surpris de se connaître si mal, alors qu'ils sont gavés de connaissances extérieures. Ils ont surtout une perception d'eux-mêmes à travers le regard et les évaluations en milieu familial et scolaire.

Par ailleurs, un coach professionnel et bien formé (pour info, j'ai été formé à l'IRA de Nantes sur deux années avec soutenance de mémoire devant un jury de l'Université Paris 8 qui délivre un DESU de cocahing, mention bien) utilise des outils et méthodes d'approche psychologique de la personne en approche Rogérienne (analyse transactionnelle, programmation neuro-linguistique, analyse systémique ..)  qui le différencie de l'enseignant qui n'a pas ces formations et compétences. C' est pour cette raison que je considère le coaching comme une ressource complémentaire à l'enseignement (et non concurrentielle) au service de la réussite optimisée de l'élève (d'ailleurs "élève" signifie "élever" au sens de faire grandir, épanouir , voir pyramide de A. Maslow sur les besoins de satisfactions de l'individu). La seule transmission de connaissances est insuffisante pour l'élaboration d'un projet et sa réalisation; un accompagnement spécifique qui permet une meilleure connaissance de soi, d' identifier les ressources, de débusquer les limitations, de donner du sens, fixer des objectifs réalistes et muscler la confiance par l'estime de soi est nécessaire, dans le respect de la singularité et de l'écologie de chacun , c'est pour cette raison que j'ai choisi ce métier, après 31 dans la fonction publique d' état comme informaticien mais aussi enseignant, formateur, préparateur de candidats, membre de jury de concours nationaux et chercheur sur les conditions de réussite de l'individu.

Je me permets de vous indiquer l'ouvrage que j'ai écrit en 2011 à la demande des éditions Studyrama qui est un ouvrage de méthodologie de préparations et passages d'épreuves. Cet ouvrage est un outil de coaching, intitulé "AUTOCOACHING" titre voulu par l'éditeur. Vous pourrez ainsi mieux comprendre ce qu'est le coaching "scolaire".

je vous remercie pour cet échange

Philippe AUBRY enseignant vacataire en université, ateliers développement personnel et techniques de communication professionnelle (Polytech Nantes, fac de droit Vannes), le 1 Décembre 2015 à 11:18 couv_autocoaching.pdfpresse_ocean.jpgarticle_le_parisien.pdf

Merci beaucoup pour ces échanges très stimulants sur la nature de l'accompagnement. Est-ce de l'enseignement ? Est-ce du coaching ? Tout dépend de leurs formes il me semble...

En même temps, coacher n'est pas enseigner et inversement. Enseigner se fait dans le cadre d'un programme scolaire, représentant les connaissances et compétences choisies par une nation comme socle de transmission à sa jeunesse. "Enseigner désigne une éducation intentionnelle ; c'est une activité qui s'exerce dans une institution, dont les buts sont explicites, les méthodes plus ou moins codifiées, et qu'assurent des professionnels." (Reboul, 1989, p. 16). De nos jours, enseigner pourrait se définir ainsi : "Permettre aux élèves d'apprendre ce qui est fixé par un programme." S'est ajoutée la dimension d'appropriation par les élèves des éléments transmis. Cette idée est notamment reprise par Engelmann : "If the students hasn't learned, the teacher hasn't taught." Je ne suis pas un spécialiste du coaching, mais il me semble que cette dimension d'appui sur des programmes n'est pas une condition nécessaire. Pour paraphraser Reboul, on pourrait écrire que l'on enseigne quelque chose à quelqu'un alors que l'on coache quelqu'un pour quelque chose.

Ce serait donc cette nouvelle dimension de l'enseignement qui rendrait pertinente la liaison enseignement-coaching. Enseigner et coacher se relieraient du fait qu'il ne s'agit plus de transmettre des savoirs sans se soucier de leur appropriation. Avec une petite réserve de mon côté. Celle du risque de l'assistanat. Si accompagner c'est rendre dépendant, l'éducateur échoue dans sa fonction qui est de rendre autonome et responsable le sujet. J'ai l'impression que la clé de voute de cette distinction réside dans l'usage que l'on fait de ces deux notions : acteur et auteur.

Considérer l'élève comme un acteur,  c'est lui permettre d'apprendre en agissant, en lien avec des pédagogies actives, principalement initiées par les travaux de J. Dewey. C'est intéressant parce qu'au niveau cognitif l'activité est plus intense. C'est problématique du point de vue du développement de l'autonomie. L'élève n'étant pas à l'initiative de l'activité, peut se contenter de postures d'exécutions, rarement suffisantes pour apprendre.

En complément se trouve la posture d'auteur, pour celui qui est à l'initiative du projet : il peut ainsi créer, exprimer, tâtonner, chercher, ... en somme entrer dans un panel d'activités reconnues comme les plus efficaces pour apprendre. L'enseignant et le coach ont toute leur place dans la posture de l'élève-auteur dans le sens de Bruner : pour étayer et ainsi rendre plus rapide le processus de recherche, en apportant des réponses à des questions que l'élève (ou le jeune, l'étudiant, ...) se pose.

Dans le cadre scolaire, nos travaux proposent de considérer un accompagnement personnalisé comme responsabilisant (comprendre "non-assistant" ou "non-avilissant" - "émancipateur" comme l'indiquait C. Freinet) par un équilibre entre trois déclinaisons : de l'individualisation (sur la base de projets personnels), de l'étayage (par l'adulte) et de la coopération (via les pairs).

Je vous laisse me dire ce que vous en pensez.

Merci à Yves Lecoq de nous alerter sur les risques de dérives institutionnelles dans la mise en place de l'accompagnement personnalisé en 6e, à la rentrée prochaine. Selon nous, ce qu'il appelle la (re)disciplinarisation pose au moins deux problèmes.

D'une part, il importe de ne pas rabattre l'AP sur un "apprendre à apprendre" plus proche de cours de"méthodologie" que d'un véritable accompagnement à partir "du vécu des élèves en situation". C'est seulement ainsi que l'on peut espérer permettre aux élèves de construire, non seulement les compétences transversales auxquelles Y. Lecoq fait allusion, mais aussi ces "gestes de l'étude" chers aux membres de l'équipe ESCOL, et dont l'appropriations par les élèves passe par la mise en place de démarches spécifiques comme les "échanges de pratiques scolaires" que nous présentons dans notre ouvrage.(1)

Plus fondamentalement encore, l'AP peut –et devrait- constituer un lieu privilégié pour travailler avec les élèves, notamment les plus en difficulté, leur triple rapport à l'École, aux savoirs scolaires et à l'apprendre, dans un cadre rigoureux et exigeant. Par ailleurs, nous savons, d'expérience, qu'un tel dispositif d'accompagnement est en mesure de contribuer à la restauration de la confiance en soi et de l'image de soi chez les élèves les plus fragiles.

D'autre part, il nous semble que l'approche disciplinaire a tout à fait sa place dans le cadre de l'AP, comme nous l'avons expérimenté. La "pause réflexive"(2).invite les élèves à revenir sur les apprentissages réalisés au cours d'une période déterminée pour identifier les savoirs en jeu dans une séquence d'enseignement-apprentissage (un cours, l'étude d'un chapitre, la conduite d'un projet pluridisciplinaire, etc…). Une telle démarche présente un double intérêt :- elle permet aux élèves de faire la distinction entre le "faire" et l'"apprendre" et ainsi de mieux identifier les savoirs en jeu dans la séquence concernée ;- elle permet à l'enseignant de prendre la mesure des décalages entre ses visées s"apprentissages et ce que les élèves ont retenu de la séquence… et d'envisager les moyens d'y remédier, à court ou à plus long terme.

Mais on peut aussi penser à d'autres modalités d'accompagnement des élèves dans le processus même d'apprentissage, dans le cadre ordinaire de la classe : avec la familiarité de plus en plus grande des élèves avec l'informatique et le numérique, l'enseignant devient de moins en moins le pourvoyeur principal des informations et des savoirs dans sa discipline ; en revanche, il a sans nul doute à accompagner les élèves dans l'élaboration de leurs connaissances et l'appropriation d'une culture commune.

On voit que, dans un cas comme dans l'autre, les élèves en difficulté sont bien au cœur des préoccupations des enseignants-accompagnateurs.Dans ce nouveau Fil, il nous semblerait particulièrement intéressant de faire part se démarches d'accompagnement des élèves dans l'appropriation des savoirs disciplinaires, que ce soit dans le cadre de l'AP ou dans celui de la classe au quotidien.

Jean-Pierre Bourreau 

Au plaisir de vous lire et d'échanger sur cette (re)configuration de l'articulation entre accompagnement et apprentissages scolaires.

(1) Rendre la parole aux élèves. Clés pour les accompagner sur les voies de la réussite. Chronique Sociale 2013 - Clé n° 6 Développer les "échanges de pratiques scolaires"

(2) ibid Clé n° 5 Mettre en place des moments de "pause réflexive"

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