Je n'ai rien appris depuis le CP !...

C'est l'affirmation de Jérémy, élève décrocheur au cours d'une séance regroupant plusieurs lycéens dans la même situation, dans le cadre d'un dispositif "Parenthèses ASA" (Accompagnement Vers une Solution Alternative)*.

Au cours de cette 3e séance d'une durée de deux heures, nous avons proposé une réflexion sur les apprentis-sages réalisés dans et hors l'école. La première étape consistait à relever les apprentissages "importants" réalisés à l'école en notant chacun sur une affichette. Jérémy affirme, d’emblée, ne rien avoir appris depuis le CP. Les autres camarades rédigent. Jérémy regarde ce qu'écrit sa voisine et se met à compléter quatre affichettes.

Affichage des résultats au tableau. Lire, écrire, compter… toutes ces affichettes se superposent car ces apprentissages sont identifiés par tout le groupe. Puis, le tableau se remplit : les langues vivantes, le fait de pouvoir se repérer sur une carte, savoir faire une vidange** , conjuguer… ll a alors été possible de classer les items en savoirs de base, savoirs secondaires et savoirs professionnels.

La 4e affichette de Jérémy était restée sur la table à côte de lui : J'ai appris à vivre en collectivité. Inclassable, elle est mise de côté mais elle permet d'établir une autre distinction : savoirs, savoir faire et savoir-être.

La seconde étape est engagée sur les apprentissages informels (réalisés hors de l'école) à partir d'un document qui présente les différents lieux et activités possibles : les écrans individuels (télé, ordi, tablettes, portables), les voyages, les pratiques artistiques et sportives, les tâches domestiques (cuisine, jardinage, bricolage…) l'engagement dans la vie associative, la lecture, les spectacles les musées, la famille, les copains/copines ***.

Jérémy choisit de développer, avec une camarade, les apprentissages réalisés dans le cadre domestique. Les affichettes se remplissent rapidement. Chaque binôme vient les positionner au tableau en les classant dans les types de savoirs identifiés en amont.

Le tableau est couvert d’affichettes. Ce qui fait dire à Jérémy avec un air ravi : On apprend tous les jours quelque chose et partout ! Précisons que Julien a décroché en début de 3e, qu'il a très vite abandonné la 1ère année CAP à la rentrée et que la veille de cette séance, il a vécu une situation personnelle particulièrement difficile et perturbante.

Quel lien entre ce récit et l'accompagnement ?

D'abord, le cadre que nous instaurons lors de la première séance afin de faciliter les échanges et la libre ex-pression de chacun : respect de la parole, non-jugement et confidentialité des propos tenus. Lorsque le groupe adhère à ces règles, un climat de confiance mutuelle s'instaure et les interactions peuvent avoir libre cours, sans jugement ni des camarades, ni des animateurs. Lorsque Jérémy précise qu'il apprend plus par la télé qu'à l'école, Marine l'interpelle et lui demande des exemples. Il cite des documentaires sur l'histoire, les origines de l'homme, la guerre. Marine lui demande de préciser et Julien détaille, sans problème l'arrivée de Hitler au pou-voir, la seconde guerre mondiale, l'extermination des juifs… Sandra s’exclame : il en sait plus que moi qui ai suivi ces cours en 3e !

Puis, la démarche sur les apprentissages informels permet aux élèves de partir de leur vécu, de ce qu'ils savent faire. C’est une façon d’aller à leur rencontre, de les reconnaître comme personnes, certes, avec leurs difficultés, mais aussi avec leurs connaissances, leurs compétences, leurs centres d’intérêt, leur potentialité. Jérémy, au départ, dit ne rien avoir appris et se dévalorise dans son vécu scolaire pour s'apercevoir qu'il est capable de réaliser des choses qui nécessitent inévitablement des connaissances et des aptitudes.

C’est donc la restauration de la confiance en soi qu’exprime Jérémy, dans le bilan individuel rédigé à la fin du module, en complétant l’item « Ce que ce module m’a apporté à titre personnel » par Je ne suis pas un bon à rien.
Y a-t-il d’autres raisons pour adopter une posture d’accompagnement ? Avez-vous d’autres expériences du même type à relater ? Même en quelques lignes…

Au plaisir de vous lire bientôt.
Michèle Sanchez et Jean-Pierre Bourreau
20 février 2015
 

*Ce dispositif, destiné à des lycéens décrocheurs du district, est piloté par la Mission de Lutte sur le Décrochage Scolaire. (MLDS)

** Proposition de Marine actuellement en 1ère Bac Pro Mécanique

*** Schéma issu du dossier "Apprendre par soi-même" de Sciences Humaines (Mars 2014)

 

Rebonds 4

Je me suis proposée comme " référent décrochage" dans mon établissement, le Lycée polyvalent Léopold Sedar Senghor de Magnanville (Yvelines, agglomération de Mantes-la-Jolie).

Du coup, je vais suivre avec intérêt ce cercle, et espère le nourrir au fil de mon expérience.

Merci pour ce témoignage.

Monica Levy-Kéloufi

Ce qui serait intéressant, c'est de décrire votre expérience dans cette fonction :  comment les élèves sont-ils repérés "décrocheurs"  ? comment sont-ils pris en charge ? Quel(s) lien(s) avec une posture d'accompagnement. 

Au plaisir de vous lire bientôt.

Michèle Sanchez

Michèle Sanchez Formatrice-ressources, co-auteure d'un ouvrage sur l'accompagnement des élèves, le 27 Février 2015 à 16:20

J'ai enseigné près de 40 ans en LP et une fois à la retraite j'ai animé un dispositif régional pour décrocheurs, "Potentiel Jeunes" qui a permis l'an passé la réinsertion de 80% des 25 jeunes que nous avons accompagnés sur 6 mois. Je me retrouve tout à fait dans les propos tenus ici par Michèle et Jean-Pierre. Combien de fois ai-je entendu à l'arrivée au LP "La seule chose que j'ai apprise au collège c'est que j'étais con, nul..." ! Et après des entretiens individuels "Mais alors j'ai quelque chose dans la tête, on m'a toujours dit le contraire." Ce qui n'est sûrement pas le cas d'ailleurs mais au bout d'un moment ils n'entendent plus que les propos négatifs qu'on tient sur eux et qui confortent l'autodévalorisation qui s'est construite au cours des années de collège, quand ça n'a pas commencé dès le primaire. Ils finissent par se réfugier dans ce statut de "cas désespéré" qui les autorise à baisser les bras et les derresponsabilise. 

Je suis persuadée que cet accueil bienveillant, cet accompagnement du jeune et du groupe de jeunes dans la durée, cette "renarcissisation" devraient être mis en place dans toutes les classes pour prévenir le décrochage et pas seulement pour les décrocheurs. On sait bien qu'il est toujours plus difficile de réparer une fois les dégâts produits. D'autant que les stigmates perdurent, même chez les jeunes qui "raccrochent". Quel gâchis humain et financier ! Les économistes avancent des chiffres effrayants sur le coût social de ces vies gâchées. Qu'on arrête de nous dire qu'on n'a pas les moyens, qu'on investisse en aval, ça coûtera moins cher, sans parler du prix de la souffrance. 

Je milite activement depuis fort longtemps pour de véritables heures de vie de classe comprenant des groupes de parole. Car si les adultes doivent accompagner ces jeunes, ils doivent aussi favoriser et encadrer l'accompagnement par les pairs qui représente une véritable formation à l'empathie, à la décentration, au vivre ensemble, à l'analyse des situations, à la compréhension de l'humain, à l'expression des sentiments ainsi que des opinions en termes directs et courtois... Seulement voilà, encore faudrait-il y former les enseignants. 

Je ne peux que conseiller les ouvrages publiés à la Chronique Sociale par celui que j'appelle mon maître par respect et reconnaissance. Gérard Wiel a formé des centaines d'enseignants à cet accompagnement et a animé le groupe d'analyse des pratiques et de recherche sur l'analyse des pratiques auquel j'ai eu la chance de participer pendant une quinzaine d'années.           

"Pratiquer le groupe d'accompagnement - Une chance pour la personne, une nécessité sociale" Gérard Wiel - Chronique sociale - novembre 2014

 

Mon expérience est celle d'un projet de dix ans pour une classe (qui était une classe de redoublants en seconde) dont le travail principal, et souvent réussi, a été de remettre en selle des élèves cabossés par l'école, et souvent par la vie, et dont les réactions étaient souvent proches de celles que décrit Nicole. Je partage ses propositions (qui faisaient partie de notre projet, sous forme de "Conseil" hebdomadaire et du tutorat, entre autres).

Mais je voudrais insister sur le fait que la "renarcissisation", en même temps qu'elle passe par l'empathie, la compréhension, etc. DOIT obligatoirement passer par un travail pédagogique exigeant, "techniquement", didactiquement très travaillé par l'enseignant pour que le sentiment de revalorisation de la personne soit appuyé sur un réel progrès des compétences scolaires  (et souvent sociales et relationnelles). Et que pour cela, il faut une continuité sur un temps assez long.  Faute de quoi l'amélioration est ressentie par les élèves, mais aussi par les "autres" (parents, autres enseignants, etc.) comme un leurre : le moment scolaire se passe mieux, mais l'estime de soi ne tient pas longtemps face aux réalités.

Bien entendu, comme Nicole, je pense que l'idéal serait que des pratiques comme celles que demande Nicole, couplées à un travail pédagogique qui fasse progresser tous les élèves, soient en place partout dans l'école, et pas comme rustines  pour ceux qui ont "raté".

Françoise Colsaet enseignante, le 1 Mars 2015 à 11:43

Je te remercie de penser, Françoise, à rappeler que la bienveillance n'a rien à voir avec la démagogie. Ils ne se sentent jamais aussi humiliés que lorsqu'on leur propose des exercices très basiques et qu'on les félicite "pour de faux". Tout à fait d'accord avec l'exigence et la persévérance. D'ailleurs on découvre vite qu'ils négligent volontiers les tâches exagérément simplifiées dont ils ne voient pas l'enjeu ou à travers lesquelles ils sentent de la condescendance et du mépris alors qu'ils nous surprennent souvent par leurs performances sur des tâches complexes. Avec eux aussi, l'exigence est une preuve de respect. Respect de leurs capacités, de leur intelligence, de la personne complexe qui se cache derrière l'élève en échec.  

Nicole Bouin Co-organisatrice des rencontres , le 1 Mars 2015 à 11:55

Oui, oui, oui…A différents propos tenus dans le message de Nicole Bouin et aux réactions qui ont suivi.Nous réagirons plus tard car, pour le moment, nous sommes encore en congés dans la zone B.Bonne semaine.

Michèle Sanchez Formatrice-ressources, co-auteure d'un ouvrage sur l'accompagnement des élèves, le 2 Mars 2015 à 10:39

Nous sommes d'accord avec Nicole et Françoise sur les constats et sur les effets positifs produits par les pratiques d'accompagnement. Peut-on apporter de "l'eau au moulin" de l'affirmation de Françoise quant au passage par un "travail pédagogique exigeant" et le fait que "le sentiment de revalorisation de la personne 'doit s'appuyer' sur un réel progrès des compétences scolaires" ?

Deux témoignages d'élèves en 2nde bac pro dans l'entretien individuel en fin de module d'accompagnement personnalisé :"A mon goût c'est vraiment simple… ça m'intéresse même pas… Moi, je cherche tout ce qui est compliqué… Dans toutes les matières… En fait, j'aime bien quand c'est compliqué. Pourquoi ? Parce que j'aime réfléchir et trouver la solution. Moi, j'ai une phrase, c'est que tout problème a une solution… Il existe jamais un problème sans une solution… C'est pour ça, je me dis : c'est trop simple, c'est pas à mon niveau, c'est pas mes vraies capacités, c'est pour ça". (Eric, avril 2014)

"Et puis l'enseignement pro qu'on nous propose c'est pas vraiment top top. Parce que je trouve… je le redis souvent : en anglais, on fait les nombres de 1 à 10 et le verbe être, que j'ai fait début 6e quoi… C'est des choses comme ça que je comprends pas forcément. Et ça me donne pas envie de venir de faire des choses comme ça que je pourrais faire chez moi sur ordinateur… Donc voilà, c'est principalement ça. (…) J'aimerais bien qu'il y ait une demande plus élevée, mais c'est pas forcément ce que je trouve… Qu'il y ait un défi à relever… Je me dis que… c'est pas trop facile mais c'est… c'est un niveau… voilà, je comprends pas pourquoi ils nous font faire des choses comme ça… C'est limite cracher sur tout ce qu'on a fait pendant quatre ans et… on ressasse, on ressasse, on ressasse. Voilà.  C'est pas forcément très positif… Mais c'est ce que moi je ressens ici (…). Je m'ennuie quoi… C'est ça, je m'ennuie… (Thomas, février 2015)

Mais au-delà ?

Il nous semble difficile de continuer à parler de l'accompagnement de façon abstraite, sans faire référence au contexte dans lequel cette posture est mise en œuvre (cadre, public) :

hors l'école, dans les dispositifs spécifiques de prise en charge des élèves décrocheurs : comme "Potentiels jeunes" évoqué par Nicole et comme l'ASA (Accompagnement vers une Solution Alternative) évoqué par nous ;• dans l'école, hors la classe avec des élèves en difficulté dans le cadre de dispositifs comme l'accompagnement personnalisé (cf notre ouvrage), le tutorat ou l'aide individualisée…• dans la classe avec tous les élèves à des moments spécifiques comme l'heure de vie de classe (cf l'Expresso du Café Pédagogique du 6 mars dernier), le "conseil" (évoqué par Françoise)• dans la classe avec tous les élèves, au quotidien, dans le cadre des séances d'enseignement-apprentissage, c'est-à-dire "au cœur du métier d'enseignant" (cf, et pour cause, au titre de ce cercle).

Il serait intéressant de récolter des témoignages de pratiques d'accompagnement correspondantes à ces différents niveaux pour, à terme, pourquoi pas, envisager de les publier dans un n° des Cahiers Pédagogiques autour de la question "Que veut dire accompagner les élèves dans leur parcours scolaire ou de formation ?" ou "Accompagner : une 'idée neuve en éducation" (n° 393 des Cahiers Pédagogiques, avril 2001) à la définition d'une posture pédagogique professionnelle.

Osez ! Osez ! Quelques lignes peuvent suffire… mais n'hésitez pas à relater votre expérience singulière, certes, mais d'autant plus intéressante. "Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières"… Ce sont les pratiques du terrain qui font bouger les choses en profondeur ; dommage qu'elles restent trop souvent méconnues.

Jean-Pierre Bourreau & Michèle Sanchez 

Je suis enseignante en primaire et j'enseigne aux CM2. Les élèves décrocheurs sont à mon avis repérables dès le CE1 Le fait que Jermy indique qu'il n'a rien appris depuis le CP en est la preuve. Lorsqu'un enfant rentre à l'école la majorité des familles dit à l'enfant "tu vas apprendre à lire". Lire est essentiel, mais il faut se poser la question de :qu'est ce que lire? Il est possible qu'un enfant qui déchiffre en sortant du CP n'est donc plus rien à apprendre à l'école. Dans ma classe en CM2,où il y a déjà des enfants décrocheurs, je remarque le fait qu'effectivement il manque à ces élèves une grande partie des connaissances effectuées jusqu'au CM2. Les enseignants ne sont absolument pas responsables de cela et je crois tout simplement que l'élève à cessé d'avoir envie d'apprendre ou à cessé de comprendre ce qu'il y a à apprendre. La suite le prouve aussi puisque Jeremy réalise plus tard qu'il y a toujours quelque chose à apprendre.

Dans ma classe je passe beaucoup de temps à dialoguer avec eux, à expliquer ce qu'ils font à l'école et pourquoi ils le font. Les élèves en réussite scolaire ont eux aussi besoin de comprendre les choses qu'ils font. Ils ont besoin aussi d'apprendre à connaitre leurs défauts et leurs qualités afin d'aller encore plus haut. Les attentes en fonction du point de départ ne sont évidemment pas les mêmes mais un élève impliqué est toujours un élève qui avance. Certains élèves restent cependant à l'écart mais essentiellement parce qu'ils n'adherent pas à la remise en cause d'un état qui n'est pas satisfaisant pour le cadre scolaire mais qui l'est pour eux. Il est essentiel aussi que la famille comprenne cette démarche comme un acte bienveillant et non comme un acte de jugement ce qui est parfois le cas (se remettre en cause afin de rebondir n'est malheureusement pas donné à tout le monde).

Tout ce que tu dis est tellement vrai. Mais dans certaines familles meurtries par l'école, il est bien difficile de donner un sens à toutes les déclinaisons des mots savoirs et savoir-faire. C'est souvent leurs enfants que l'on retrouve en grande difficulté. Mais comment les en sortir?

Roseline Ndiaye Présidente du CRAP-CahiersPédagogiques, Enseignante, SVT, Paris, le 14 Avril 2015 à 18:16

Il faudrait peut être mettre en place au sein des écoles et cela le plus tôt possible des ateliers de comprehension de l'école. Ces ateliers pourraient s'adresser aux parents et aux élèves dans le primaire et le secondaire afin d'expliquer, de rassurer et d'aider les parents perdus à mieux guider leurs enfants. Lire le soir des histoires à son enfants et cela dès son plus jeune âge n'est pas une évidence pour tous. J'ai l'exemple d'une discussion avec une de mes voisines qui ne comprenait pas l'intérêt de cela dans la mesure ou sa fille savait lire. Je lui ai expliqué que les histoire permettaient de développer le vocabulaire, l'imaginaire, la concentration et le goût d'apprendre. Elle a été très étonnée par ma réponse car elle n'y avait pas pensé. J'ai aussi eu cette discussion avec une de mes ancienne élève qui a un petit frère de 1 an. Elle m'a répondu:"mais ça sert à rien, il ne va rien comprendre!". Les gens ont besoin d'explication, ils ont besoin d'être guidé  et les élèves aussi. C'est très intéressant de leur demander à quoi sert l'école. La majeure partie du temps les élèves répondent sa sert à avoir un metier. Or l'école ne devrait pas servir à cela mais à faire d'eux des citoyens responsables et capables de réfléchir et de se poser des questions.

severine FOURNIER professeur des ecoles, le 15 Avril 2015 à 19:29
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