J’ai longtemps cru, même à l’époque où je le pratiquais intensément, que pour qu’une équipe existe, il fallait que ses membres se soient choisis, qu’ils soient volontaires et surtout qu’ils aient envie de faire « autre chose », quelque chose qu’on ne fait pas ordinairement, et surtout quelque chose qui irait contre le travail habituel, les habitudes et le système. Cette équipe là, si belle à vivre, si précieuse (et surtout si rare), doit continuer à exister, pour son pouvoir de stimulation, d’entrainement, d’innovation.
Mais je crois qu’il faut qu’il existe aussi un travail d’équipe quotidien, qui se fasse avec le collègue « ordinaire », celui que je n’ai pas nécessairement choisi, pour faire notre travail ordinaire. Autrement dit je crois qu’il faut changer notre façon de dire « je suis enseignant », et de pratiquer. Je pense que c’est à ce prix que nous surmonterons les innombrables problèmes qui se posent à l’école d’aujourd’hui. Beaucoup d’établissements prioritaires le savent très bien, où le collectif aide, soutient, permet, facilite le quotidien du travail. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : le travail enseignant ne peut être fait uniquement du travail collectif, il reste une grande part individuelle. Mais ce travail de chacun ne peut que profiter de l’existence, en même temps et en coordination, d’un collectif de travail.

On me dit : « mais les équipes, celles qui sont dans les textes, l’équipe pédagogique, ça ne marche pas, on le voit bien tous les jours ». Il y a des conditions à créer, et parmi ces conditions, une certaine conception de ce métier qu’il faut dépasser, parce qu’elle est... dépassée. Alors faut-il dire : non, chez nous ce n’est pas possible, formés comme ils sont, les profs français ne peuvent pas apprendre à travailler ensemble ? On baisse les bras et on laisse tomber ? Pourtant tout le monde a à gagner à changer cet état d’esprit : les enseignants, les chefs d’établissements, les élèves.

Une dernière remarque : il ne faut pas tout confondre : le conseil d’administration, la commission permanente, ne sont pas des « équipes » : ce sont des lieux institutionnels, où des pouvoirs sont en jeu de façon réglementaire et réglementée. Leur fonctionnement devrait souvent être plus démocratique qu’il ne l’est, et leurs règles de fonctionnement mériteraient d’être repensées, mais on ne peut citer le mauvais fonctionnement des CA comme argument pour dire que les équipes ne fonctionnent pas.

J’aimerais beaucoup que ce texte provoque des réactions vives et le débat que cette question mérite.

Rebonds 9

Pour suivre le fil proposé par Françoise, je copie ci-dessous un texte proposé trop tardivement pour le n° sur la coopération. Domie

Des enseignants coopérateurs dans le secondaire ?

Grâce à la formation initiale

Ma formation  s’est déroulée entre septembre 1977 et juin 1979 à l’École Normale Nationale d’Apprentissage (ENNA) d’Anthony. J’appartenais à un groupe d’une quinzaine de stagiaires qui se préparaient à enseigner en Lycée Professionnel (LP, LEP à l’époque) le français et l’histoire. Nous enseignerions aussi la législation du travail dans les sections industrielles, mais là - est-ce par hasard ?- notre formation se ferait sur le terrain. Pour « notre discipline », un deuxième groupe fonctionnait en parallèle, supervisé par d’autres formateurs. J’utilise à dessein le terme de supervision car j’ai souvenir de peu de cours : tous ensemble nous assistions, en fond de salle aux cours donnés dans un des LP d’application puis, après un débriefing avec l’enseignant de la classe, nous analysions, guidés par un formateur de l’ENNA, les séances dont nous avions été spectateurs. Très vite, cela a été notre tour de préparer collectivement des cours  que l’un d’entre nous, à tour de rôle, assumait dans la classe d’application, avec pour spectateurs : le groupe, l’enseignant de la classe et le formateur. Le contenu, les dispositifs, les supports, la mise en œuvre étaient, là aussi, l’objet d’une analyse critique collective et supervisée par le formateur. Dès la rentrée de Toussaint, nous partions pour un mois de stage, en binôme. La préparation des cours a continué, dans ce cadre, à être fondée sur la coopération. Le pli était pris. Même si, par la suite, je suis devenue professeure en collège, les années où je suis restée seule pour travailler sont rares.

Niveau 1, l’échange

La coopération des enseignants peut prendre différentes formes. La plus simple consiste à échanger des cours, des textes, des exercices pour que chacun n’ait pas tout à inventer. En effet, notre formation visait à ce que nous ne soyons pas asservis à un manuel et soyons capables d’élaborer une progression adaptée à nos élèves. Nous devions tenir compte de leurs centres d’intérêt : ils choisissaient des thèmes de travail, cette indépendance à l’égard des produits de l’industrie de l’édition m’est restée. Il nous fallait aussi répondre à leurs difficultés : c’est cet aspect que j’ai le plus développé au fil des années en découvrant la didactique, en faisant évoluer mes pratiques pédagogiques, et aucun manuel n’est adapté aux élèves réels. Ils sont pensés à partir des contenus, pour des élèves abstraits. Ils sont la représentation parfaite de ce que Mme Chanfrault, autrefois professeure à l’IUFM de Tours, appelait le « didactiquement correct » (à maitriser pour les concours). Échanger des outils entre collègues d’une même discipline (ou non), discuter de la motivation de ces choix, des dispositifs pédagogiques qui les accompagnent, telle est la première forme de coopération, qu’à des degrés variés, on peut mettre en place dans le secondaire. C’est déjà un pas énorme. Lorsqu’on y parvient, cela veut dire que les coopérants ont surmonté la peur du ridicule, le sentiment d’incompétence généré par le fait que les contre-performances de nos élèves, ou des difficultés à gérer la classe, sont vécues comme des échecs douloureux. C’est comme le mot d’ordre du GFEN pour les élèves : « Tous capables !» Quand cette habitude d’échange est bien prise, que chacun a confiance dans ses collègues, que chacun ne se sent plus coupable de ses difficultés, il arrive qu’on aille bien plus loin.

Quand je suis arrivée dans mon dernier établissement, l’équipe était très stable mais les enseignants de français étaient déboussolés par le nouveau programme qui imposait « travail en séquences » avec « décloisonnement » (plus question d’avoir l’heure de lecture, l’heure de grammaire etc…). Ils ont donc demandé à une jeune collègue fraichement émoulue de l’IUFM de leur improviser une formation sur le temps des repas. Une collègue qui se sentait en difficulté avec une classe m’a demandé de l’accompagner, en venant dans sa classe quand je n’avais pas cours, en somme de lui prêter mon regard et la formation que j’avais eu la chance d’avoir.

Niveau 2, l’intellectuel collectif : penser ensemble

Dans un précédent établissement, nous étions un groupe de trois enseignants de français à demander des classes parallèles, un après-midi commun « libéré » (le plus difficile à obtenir) pour préparer ensemble nos progressions, imaginer des exercices nouveaux, se répartir une partie du travail de confection des documents. Cela ne nous empêchait pas d’avoir chacun nos particularités : l’une préservant des temps pour des activités centrées sur la lecture, l’autre sur l’écriture, la troisième plutôt sur la langue et la mémorisation.

Dans mon dernier établissement, nous avons poussé l’expérience plus loin. L’équipe se réunissait par niveaux à la fin des vacances scolaires pour élaborer la programmation annuelle et la première séquence. Ensuite nous nous retrouvions, toujours par niveau un samedi matin toutes les 8 semaines (jour de fermeture de l’établissement ; le chef devait donc veiller à ce que nous y ayons accès ainsi qu’à la photocopieuse : il lui était ainsi impossible d’ignorer cet aspect du travail de « ses » enseignants). Nous nous donnions quatre heures. Pas une minute de plus, une collègue qui s’était vu imposer du français et était (au début) hostile au travail d’équipe pour son aspect chronophage, était notre gardienne du temps. Cette matinée servait à construire la séquence suivante soit 6 à 8 semaines de travail (choix des supports, grandes lignes des activités, évaluation…). En 6ème et, parfois en 4ème, un dispositif dit d’ateliers était instauré par la mise à disposition d’un troisième enseignant et l’alignement de deux classes avec lesquelles il était ainsi possible de constituer trois groupes. C’est dans cette réunion du samedi matin que se décidaient aussi les objectifs, la constitution et l’animation de ces ateliers.  Les bilans se faisaient dans des discussions informelles au fil de l’avancée. L’énorme avantage est d’avoir gagné en cohérence,  une cohérence visible aussi pour les élèves et les familles. Cohérence annuelle mais aussi cohérence sur les quatre années du collège pour pallier un rythme de progression dans les apprentissages bien inférieur à celui d’établissements moins ghettoïsés.

Niveau 3 : la co-animation

Dans ce dernier établissement, la co-animation était une pratique courante. Lorsque je suis arrivée, une heure de co-animation par deux enseignants de français était inscrite à l’emploi du temps de 6ème pour faciliter l’accès à la maitrise de la langue : cette heure était consacrée à des pratiques d’écriture ou d’oral, parfois avec l’appui des aides-éducateurs que nous avions alors, et de partenaires. Dans cet établissement, à l’époque classé en « zone sensible », existait la possibilité de deux professeurs principaux par classe. Les textes ne prévoyaient pas, alors, d’heures de vie de classe mais nous en avions une et si un binôme le demandait, celle-ci pouvait être co-animée. Ce fut une de mes premières expériences de co-animation non disciplinaire.

L’autre concernait deux classes de sixième dans lesquelles étaient répartis les élèves suivis en primaire par le RASED et présentant un fort retard tant en mathématiques qu’en français, classes hétérogènes cependant, et qui avaient deux heures alignées avec leurs enseignants de français et de maths ainsi que la documentaliste (pivot au demeurant de tous les projets de co-animation). Ce fut l’occasion de mettre en œuvre une pédagogie de projet. L’évaluation finale s’est organisée autour d’une sortie en zone rurale, fort dépaysante pour des enfants de la ZUP,  à la fois sur les traces de Jeanne d’Arc (incontournable en Touraine), la découverte d’une vallée dotée d’un microclimat (Courtineau) , et du plateau crayeux (Sainte-Maure). Les compétences étaient nombreuses et variées. Avant : anticipation de l’équipement pour pouvoir marcher longtemps au petit matin comme aux heures chaudes, pour transporter le plus confortablement possible son repas. Pendant : ne pas gaspiller son eau en s’aspergeant ; s’orienter avec les cartes ; observer, noter, dessiner, prendre des photos avec les quelques appareils jetables fournis en ne gaspillant pas les prises de vue et en veillant à ne pas multiplier la même photo (et oui, ce n’était pas du numérique, il fallait réfléchir avant et se mettre d’accord, choisir le cadrage, veiller à l’éclairage…) ; surveiller le temps pour être à l’heure au rendez-vous avec le bus pour le retour. Après : par groupes de trois, réaliser, en deux heures, une affiche sur un sujet imposé exploitant la sortie. Les contraintes liées à la normalisation et la gestion de l’espace permettent d’évaluer les progrès accomplis autour de compétences numériques et géométriques, les textes les progrès dans celles liées à la maitrise de la langue. Non seulement nos deux disciplines étaient connectées, elles étaient aussi légitimement liées aux autres (histoire, SVT, EPS…) et à la vie (vie dans la ZUP et vie dans l’habitat troglodyte, à la ville et à la campagne, autrefois et aujourd’hui).

Des expériences de co-animation interdisciplinaires, il y en eut bien d’autres. Elles ne demandaient guère de moyens supplémentaires. Par exemple celle qui est décrite ci-dessus est prise sur 1 heure de l’horaire de maths et une heure de celui de français. Les enseignants auraient pu s’organiser pour n’assurer que l’heure pour laquelle ils étaient payés. En fait, aucun ne s’est posé la question : c’était tellement intéressant, HUMAINEMENT et INTELLECTUELLEMENT. L’administration ne nous demandait pas de comptes. Ce qui ne signifie pas qu’on ne l’informait pas.

Certes, on aurait pu aller plus loin en touchant davantage aux structures de l’établissement pour que le collège devienne véritablement une coopérative d’enseignement et d’apprentissage. Mais combien on le regrette ce temps où nos établissements étaient censés ne jouir d’aucune autonomie mais où nos directions pouvaient insuffler de l’enthousiasme pour expérimenter, grâce à un regard attentif et à un dialogue bienveillant centré sur le travail des équipes et des élèves ! Une place était faite aux parents qui étaient tous invités à participer aux conseils de classe.

En fait on ne parle gestion des ressources que lorsqu’on les a taries. Il en va de même des ressources humaines. Des textes sont venus qui ont cadré les heures de vie de classe, les itinéraires de découvertes ont voulu organiser l’interdisciplinarité… Ces textes et d’autres, qui prétendaient « piloter » les « innovations » ont été des entreprises de normalisation, un « on » externe a commencé à compter nos heures pour obliger au remplacement, un « on » interne (le « nous » enseignant) a commencé à compter ses heures. Quand certains ont commencé à enseigner sans plaisir, à ne plus se considérer comme membres d’un collectif mais comme des individus potentiellement concurrent, ceux qui se retrouvaient sans motivation pour apprendre sont devenus bien plus nombreux.

"malheureusement" pour la vigueur du débat, je suis d'accord avec ce qui est dit. Bien sûr, des équipes qui se choisissent et qui travaillent par affinités, c'est bien aussi, à condition qu'elles ne se ferment pas aux autres et deviennent contre-productives du coup. Je crois beaucoup au "professionnalisme" qui impose le travail d'équipe et c'est justement cela qui permet la sauvegarde de l'individu à la quelle je tiens beaucoup. Dans une chanson de Colette Magny, ces paroles: "passer de la compétition dans l'individualisme à l'individu dans la coopération". Cela me va. Si le travail collectif abolit cette belle conquête des Lumières qu'est l'individu, alors je rejette le travail collectif. Mais on peut concilier les deux, et d'ailleurs c'est ce qui me plait au crap où on n'est pas obligé d'adhérer à un dogme et où il y a peu de tabous (à la limite, on pourrait encore faire mieux)

d'ailleurs, je suis gêné quand des enseignants font systématiquement choisir par les élèves avec qui ils veulent travailler (cela peut être une variante, mais pas une habitude). En plus, il y a souvent les rejetés dans ces cas-là. Et c'est la même chose côté enseignants. Pour ma part, j'ai pu travailler en équipe (au moins en binome) avec des collègues avec qui je n'avais pas particulièrement de relations amicales, même si il parait difficile de travailler lorsqu'il y a trop peu de sympathie, quand c'est à deux ou trois. Et en revanche, il est parfois difficile de travailler avec des personnes très proches du point de vue des idées mais qui ont des profils cognitifs par ex très éloignés des vôtres.

En tout cas, apprendre à travailler avec les autres est une compétence essentielle, aussi bien pour les élèves que pour les profs.

Il me semble qu'on peut se sentir exclu d'une équipe qui semble bien fonctionner quand on n'est pas inclus quelque part ou qu'on aimerait travailler dans cette équipe mais qu'elle ne recrute pas. Exemple ? Il faudrait que ce soit Jean-Michel qui en donne un. Si j'essaie : un voyage s'organise, j'aurais bien fait participer ma classe mais "ils" sont déjà au complet pour un car et le chef ne veut pas plus de trois classes absentes en même temps. J'ai vu ça souvent, et c'est pas facile à réguler, surtout quand ça se passe plusieurs années de suite avec les mêmes. Là, c'est le boulot d'un animateur pédagogique, ou, mieux, d'un conseil pédagogique, de poser le problème pour qu'il soit traité. Car le problème, là, c'est l'implicite. Tant que personne n'en parle, c'est le problème de celui qui se trouve exclu et pas un problème d'équipe et d'organisation du travail.

Mais il est normal qu'une équipe ne soit pas ouverte à tout vent. Elle est forcément "fermée" parce qu'elle est distincte des autres équipes, qu'elle acquière une identité du fait de son projet et de sa composition, et qu'une équipe dans un établissement n'est pas tout l'établissement. La question est alors de la coordination entre équipes, notamment toutes celles qui ont à faire avec les mêmes élèves. Cette coordination devrait être un souci premier, je suis d'accord. Il faudrait penser : du point de vue de chaque élève et du point de vue de chaque groupe (ou classe), qui intervient dans son apprentissage, dans sa vie scolaire ? Cela se fait le plus souvent informellement, et c'est là qu'on peut dire que le système marche grâce à l'investissement des personnes. Ainsi, le PP qui est aussi prof de maths peut être l'animateur du club cirque et intervenir dans une activité transversale math / géo / français sur la cartographie. Les équipes sont maillées, en réseau parce que des acteurs sont multi-casquettes. Bien sûr, ce serait mieux si la coordination était pensée et organisée explicitement.

Colette Magny, oui ! Mais l'individu dans la coopération, ça veut dire que l'individu tout seul n'a pas beaucoup de sens. Un collectif n'existe que s'il est composé d'individus. Ce qui peut abolir l'individu, ce n'est pas le collectif, c'est l'abus de pouvoir, la confusion entre professionnel et privé, les leaderships sauvages et les phénomènes de bouc émissaire, l'absence de régulation et les non-dits accumulés etc... Mais pas le fait qu'il y ait du collectif. Sans collectif, pas de coopération.

Difficile de travailler avec des gens proches par les idées, et je dirais, par les valeurs, mais qui ne fonctionnent pas de la même façon : j'ai un exemple. J'ai beaucoup coanimé en intervention avec une personne expérimentée et investie dans les mêmes domaines que moi mais nous avions des formations très différentes, elle abordait les groupes de façon plus intuitive que moi et elle trouvait que j'écrivais de façon trop compliquée. Je simplifie ! Eh bien, même si nous étions vraiment complémentaires, ce n'était pas facile tous les jours. Pourtant, nous avons continué pendant plusieurs années. Et je ne le regrette pas. J'ai fait une fois de plus l'expérience qu'on n'a jamais raison tout seul quand on travaille à deux ou plus. Mais ça demande de ne rien lâcher de l'explicitation, de l'analyse de ce qui se passe. Nous avions des supervisions. Dans les collèges, c'est rarement le cas, mais voilà un objet d'analyse de pratiques. Faute de quoi, la difficulté est traduite en terme de personnes et on perd la ressource que représentait la différence d'approche, "au profit" d'un conflit ou d'une exclusion.

 

 

Sylvie Floc'hlay retraitée - après prof de français, latin en clg et autres fonctions dans l'EN, le 1 Mars 2014 à 19:48

Le travail d'équipe que je voudrais voir se développer, c'est par exemple celui qui se met en place  autour d'un apprentissage précis. Disons,  pour être très modeste, "présenter un contenu bref devant la classe en 5 minutes". On est, mettons, trois ou quatre profs d'une même classe, pas spécialement cooptés,  on se met d'accord sur ce que recouvre cet apprentissage, sur la /les façons de le mener et de l'évaluer selon nos tempéraments pédagogiques et nos disciplines. On échange des idées et de la créativité. On le fait, on régule au fur et à mesure, entre nous et avec les élèves. On fait le bilan pour faire mieux l'année suivante et l'élargir à davantage de classes.

Pas de quoi révolutionner la planète, n'est-ce pas, ni bouleverser toute la DGH.

Eh bien même ça, c'est archi-difficile à mettre en place vraiment. Pas chez vous ?

Est-ce, paradoxalement, parce que c'est trop modeste ? Parce que ça nous pousse un peu dans les retranchements de nos compétences ? Parce que ça enfonce un coin dans nos fonctionnements habituels sans que ce soit non plus un projet exaltant ? 

Vos analyses m'intéressent.

 

Je pense que le fait de travailler ensemble sur un point comme un apprentissage précis ne fait sens que pour celui qui le propose. En fait celui qui propose cela est convaincu et cela satisfait son objectif de travailler par compétences, tout en rentrant dans son cadre disciplinaire, et pour lui la compétence importe peu. Cela peut être "présenter un contenu bref devant la classe en 5 minutes", u tout autre chose. Mais en quoi cela peut-il être un objectif pour ses collègues? En quoi cela fait-il sens pour eux?

Pour travailler ensemble il faut un cadre commun : quel objectif, satisfaisant quelles valeurs (pas forcément les mêmes pour tous, mais que tous y trouvent la satisfaction de leurs valeurs essentielles, ce qui est difficile si les valeurs des uns sont les antivaleurs des autres -ça arrive), comment on saura que l'objectif est atteint? Eventuellement les critères peuvent différer selon les matières (contextes) mais cela ne doit pas cacher des conflits de valeurs... et à partir de là quels moyens au service de l'objectif/quel processus met-on en route et de quelles ressources a-t-on besoin? Derrière tout travail en équipe on trouve, sous-jacentes ou explicites, les réponses à ces questions.

Normalement, cela devrait un peu être le rôle du chef d'établissement d'impulser une démarche de ce type, mais est-possible sur des têtes d'épingle? Ceux qui ne sont pas convaincus d'avance et prêts à beaucoup plus peuvent-ils y voir autre chose que le moyen de les faire rentrer dans le rang, un peu comme le mois d'essai gratuit de programmes payants.

Dominique Seghetchian enseignante retraitée, le 26 Février 2014 à 00:30

Travailler en équipe je pense que beaucoup d'enseignants sont maintenant d'accord. La question essentielle qui reste  c'est comment?

 Avoir un sujet bien délimité et "Smart" ( petit objectif simple et identifiable) comme le suggère Florence 

Déterminer  une méthodologie   : durée, fréquence des réunions, attribution des rôles, laisser des traces communiquer évaluer ...

 Savoir mener et vivre une réunion :  ordre du jour, écoute, prise de décisions

Voilà, certes quelques passages, qui me semblent obligés,  même si  toutes ces compétences ne s'acquièrent pas d'un coup.  Je me souviens que j'enseignais aux élèves à travailler en groupe en début d'année, par le biais de petits jeux que j'avais appris moi-même  dans les Rencontres CRAP de Florac.

Par ces jeux, où les élèves cherchaient ensemble des solutions et à l'aide d' observateurs, le groupe classe dégageait collectivement des règles d'organisation et d'écoute des autres.

 Mais mon problème à moi est ailleurs  : chaque fois que j'ai été dans une situation de travailler en équipe que ce soit dans un temps court de formation ou à plus long terme dans le collège, je me suis retrouvée dans la situation inconfortable de la meneuse de jeu. C'est moi qui impulse  les règles c'est moi qui, qui ... même si parfois je ne fais que suggérer... qu'il faut une prise de note par exemple ou que ce serait tellement mieux si on s'écoutait... c'est moi qui... encore!! Et ceci parce que essentiellement je veux de l'efficacité et presque de la performance.

J'ai dit et redit que c'était inconfortable. Mais alors comment faire quand on démarre un travail d'équipe ?

Roxane Caty-Leslé Ex : Conseillère en Développement CARDIE (Centre Académique Recherche Développement des Innovations et Expérimentations) à Lyon , le 27 Février 2014 à 18:12

Je réagis au propos de Florence : présenter un contenu bref en 5 minutes, ce n'est pas du tout un objectif modeste ! Parce que ce n'est généralement pas enseigné. Pour en avoir discuté avec des collègues à propos du dispositif "quart d'heure" que j'avais institué (cf le numéro des Cahiers le Français sans exclure), je m'étais rendu compte que c'est rare de considérer qu'il faut mettre quelque chose en place pour faire apprendre ça. Et pas seulement une fiche consigne, même si elle est très utile. C'est un bon exemple de compétence ou savoir faire, comme on voudra, où l'on mélange joyeusement prérequis, objectif, situation d'apprentissage et évaluation. Le présenter stratégiquement comme un but modeste qui ne mange pas de pain est habile pour donner une occasion à une équipe de se fédérer autour de cet objet. Mais ça peut ne pas marcher ! Soit que les autres trouvent que ça ne vaut pas la peine de se réunir pour si peu, ce qui leur permet d'éviter d'affronter l'obstacle ; soit qu'ils te voient venir et qu'ils se révoltent, parce qu'ils verront bien qu'ils ne font pas ce qu'ils devraient faire (faire apprendre quelque chose de pas simple) et qu'ils ne savent pas comment le faire. ça peut les fâcher.

Sylvie Floc'hlay retraitée - après prof de français, latin en clg et autres fonctions dans l'EN, le 1 Mars 2014 à 19:34

Les équipes sont dans les textes ? Mais l'organisation actuelle du travail des profs empêche ou en tout cas entrave leur mise en oeuvre. Un exemple ? Dans mon dernier établissement, les profs de français avaient institué une concertation assez régulière pour organiser des actions qui impliquaient plusieurs classes d'un niveau ( collège au cinéma, prix littéraire et préparation de la rencontre avec un auteur, devoir commun...) ou mettre en place des "outils communs" pour aider les élèves à s'organiser et à travailler (cahier de lecture, fiches d'organisation  ou autres). Nous faisions nos réunions les mardis à 13 heures et communiquions par mail entre temps. Le jour où certains d'entre nous ont eu cours à 13 heures, trouver un autre créneau est devenu une gageure et la périodicité des réunions, de même que la régularité de la participation ont été compromis. Nous avions pourtant clairement indiqué notre demande en juin mais elle n'a pas été considérée comme prioritaire. On peut dire que dans ce cas, l'emploi du temps a empêché le travail collectif au lieu de le faciliter.

Je suis bien d'accord avec le fait que le travail en équipe n'exige pas qu'on se choisisse, au contraire dans bien des cas. Instituer une équipe, c'est organiser la coordination entre plusieurs professionnels qui ont à la faire pour une raison ou une autre. Elle peut être instituée par l'organisation elle-même, sous des noms variés et à des niveaux variés. Par exemple : les profs de français (conseil d'enseignement) ; les profs principaux ( au niveau de l'établissement) ; ou les formateurs d'un groupe ressource auprès d'un recteur. Mais ce n'est pas parce que l'équipe est instituée par une autorité quelconque qu'elle fonctionne. Pour cela, il faut soit qu'elle soit animée par un responsable hiérarchique qui la convoque, soit qu'elle s'institue elle-même et se dote d'une organisation : qui anime, comment fait-on l'ordre du jour et quand, qu'est-ce qu'on prévoit comme mémoire etc...

 

Je suis intéressée et un peu étonnée de lire que le travail en équipes serait à la fois dans les textes (lesquels ? ), faisant l'objet de l'accord des collègues, et une pratique habituelle dans certains établissements ( cf. ce que raconte Dominique). Ce n'est pas du tout mon expérience, qui est celle de collègues qui n'arrivent pas à travailler ensemble même sur le minimum ( faire un sujet commun pour le bac blanc de français), qui refusent toute discussion sur le contenu de ce qu'ils font en classe ( au point de ne pas remplir le cahier de texte électronique, parce que "mes cours ne sont pas à tout le monde"). Y a -t-il moyen de dépasser les points de vues individuels et d'avoir un peu une vue générale de la situation ?

Françoise Colsaet enseignante, le 1 Mars 2014 à 22:42

Partant d'un autre point de vue que Françoise, j'arrive un peu aux mêmes réflexions.

J'ai longtemps cru que choisir ses co-équipiers, ce n'était pas juste. Que tout un établissement (bien dirigé) se devait de faire fonctionner ses équipes, comme elles se trouvaient être. Que le professeur principal d'une classe avait pour principale tâche d'animer l'équipe des enseignants autour du travail des élèves, d'en faire autre chose que ce que Philippe Perrenoud a un temps appelé "pseudo-équipe", terme qui me choquait. J'en ai même fait un mémoire universitaire, et l'on trouvera dans la bibliographie que je colle ici l'article en question.

Bien sûr, autour d'un projet, si des volontaires étaient prêts à donner des heures et des heures de leur énergie, un bon pilotage devait aussi les y encourager, par une forme ou une autre de reconnaissance. Mais l'essentiel du travail d'équipe de me paraissait pas réduit à ces formes-là. Pareillement, j'ai longtemps pensé mon "équipe disciplinaire" comme un lieu d'échange de pratiques et ce n'est que lorsque j'en ai assuré la coordination que j'ai mesuré combien mes rêves collaboratifs se heurtaient aux réalités, aux temps, aux espaces, de chacun, de nos inconscients collectifs, et mille autres empêchements à bien penser ensemble.

Alors? Pour l'instant j'en reste à ce constat : Mon rêve de travail de toutes mes équipes est un rêve fou! Mon établissement (pourtant bien dirigé)  fait mal fonctionner ses équipes et je ne suis pas la seule à y souffrir de solitude. C'est bien compliqué et ça ne peut pas rester incantatoire, de parler, de vivre ou de faire passer le "simple" travail collectif à un vrai travail d'équipe. Les étapes tracées par Dominique, les expériences modestes comme celle dont parle Florence et surtout l'expérience ICI, dans ces cercles du crap, au crap en général, d'une  pensée qui peut être à la fois singulière et collective : Comment ça peut aider/se transférer dans les établissements?

A la relecture de l'ensemble, je me demande si finalement on ne travaille quand même pas davantage en équipe en collège qu'en lycée (général). Que vous en semble?

Domie

Si je fais un retour sur ma pratique professionnelle de prof et de formatrice, qu’ai-je envie de dire du travail en équipe ?

D’abord, je ne sais pas si l’expression « travail en équipe » est celle qui me va le mieux. J’ai tendance à  penser « équipe » par analogie avec l’équipe sportive : des membres qui ne se sont pas choisis, qui oeuvrent à une même tâche en étant chacun à leur place. L’équipe – dans un établissement scolaire – ce serait les profs d’une même classe par exemple, qui travaillent avec les mêmes élèves, dans la durée, avec les mêmes collègues etc. En dehors de cette configuration les mots « collectifs » ou « coopération » me conviennent mieux. J’ai enseigné dans cinq établissements différents (ville de province, milieu rural, banlieue, Paris ; enseignement agricole, enseignement professionnel, collège ouvert, lycée élitiste etc.). La pratique de la coopération entre professionnels a relevé du grand écart d’un lieu à l’autre. Je comprends donc ce qu’écrit Françoise ! Je suis passée de la réunionnite aigüe post-68 autour du lancement d’une expérience de « co-gestion en classe de 6ème » avec « assemblée de classe » réunissant tous les élèves et tous les profs de la classe une heure chaque semaine (avec ce que cela supposait en amont et en aval de temps de concertations entre profs) à quatre années en lycée où – en dehors des conseils de classe – les profs ne travaillaient jamais ensemble. J’ai compris mon malheur lorsque – arrivant dans cet établissement - j’ai formulé le souhait de rencontrer les deux collègues qui enseignaient comme moi le français en 2de : à leurs mimiques d’étonnement – voire de stupéfaction – a succédé une proposition qui en disait long : « on peut répondre à vos questions mardi prochain avant la cantine entre 12h15 et 12h30 ».

Une deuxième période professionnelle m’a conduite progressivement à intervenir en formation jusqu’à y être à temps complet. Nouveau métier, nouvelles pratiques. Mes 25 années en institut de formation ont toujours été sous le signe de la coopération avec des collègues, depuis le travail quotidien où j’ai toujours choisi de faire bureau commun avec un, voire deux, collègues, jusqu’aux réunions régulières où se préparaient et s’évaluaient les plans de formation d’une promo de stagiaires en formation initiale, la problématique et le montage d’un colloque, les séminaires d’analyse des pratiques professionnelles. 

Quelques idées, en vrac, à partir de ces expériences.

1 – Il me semble que l’implication dans un travail coopératif se fait d’autant mieux que la part d’initiative est conséquente et que les participants n’ont pas le sentiment de se partager les miettes d’une prescription enfermante. Il est peu mobilisateur de réunir des professionnels pour entériner une décision déjà prise ! Si une contribution à la décision est ouverte et si, en plus, l’institution pose un cadre et offre les conditions d’un travail de qualité la dynamique peut se mettre en route. Je repense avec un brin d’émotion à tout le travail de conception que nous avons eu à fournir au moment de la mise en place des IUFM : toutes les maquettes étaient à penser. Nous avions, dans notre institut, initié dès 1993 des groupes d’analyse des pratiques de PLC2 et des groupes d’analyse de pratiques des professeurs conseillers pédagogiques qui les accompagnaient dans le cadre de leur stage en responsabilité. Comme responsable de formation j’avais obtenu – dans la négociation des budgets – la possibilité de rétribuer des heures de concertation aux formateurs engagés dans l’animation des GAP. Sept journées avaient ainsi pu être programmées dans l’année : le matin 3h d’intervention avec un groupe, l’après-midi 3h de débriefing et de préparation des séances suivantes. Durant trois années consécutives ce travail a pu se mener avec la même équipe de formateurs qui de plus bénéficiait d’un groupe de supervision. Des conditions évidemment très favorables pour « lancer la machine ».

2 – Une fois lancée, pour que la dynamique dure, il faut que chacun y trouve son compte. Ce qu’écrit Odile Brouet, consultante chez Renault (une ancienne des Cahiers !) de l’entreprise apprenante me semble très juste et transposable à la mobilisation sur le travail coopératif : « il est nécessaire que chacun puisse très vite toucher du doigt quelque chose qui lui montre même sans qu’il l’avoue en tant que tel que dans le changement qu’il vient de vivre il a plus gagné que perdu. Si chacun constate qu’il peut gagner quelque chose de bien plus important que ce qu’il croit risquer de perdre alors on finira par arriver à construire l’entreprise apprenante ». Et elle ajoute « c’est pourquoi il est nécessaire de déployer une stratégie d’approche débouchant sur un gain immédiat. Surtout pour les résistants, déclarés ou non, il va falloir convaincre : par le confort, par la rapidité, par la simplification, par de nouvelles possibilités d’agir et de se faire entendre, par des partages enrichissants pour tous, bref par ce que tout le monde aura à y gagner »

3 – Je crois beaucoup à l’articulation présence/distance dans le travail coopératif. Quand on travaille avec des formateurs à temps partagé qui n’ont pas tous le même emploi du temps on ne peut multiplier les rencontres. C’est vrai aussi des profs dans un établissement. Beaucoup d’échanges peuvent se faire par voie électronique et préparer ou prolonger efficacement les temps de rencontres. On en tire évidemment plus de bénéfices si les personnes qui échangent ont déjà un fort sentiment d’appartenance à un groupe (qui se sera constitué autrement qu’à distance).

4 – Je trouve lumineux les propos d’Yves Clot sur les collectifs de travail (voir sa communication sur le site de l’IFé : http://ife.ens-lyon.fr/manifestations/2010-2011/metier-enseignantLe collectif c’est le contraire de la collection Il y a collectif quand ce qu’on partage déjà est moins intéressant que ce qu’on ne partage pas encore, quand il y a « dispute professionnelle » autour du travail bien fait », échange autour du « singulier », quand le déjà dit du discours convenu laisse passer le « pas encore dit » et le « pas encore pensé » du discours singulier, inattendu » Et il ajoute que ce qui compte « c’est le geste riche , le clavier élaboré ensemble et définitivement ouvert, le répertoire, la gamme, collectivement construits pour que chacun puisse en disposer . Le geste riche c’est « quand il y a du collectif en soi ». La vocation du collectif c’est d’aider chacun à se déterminer. C’est quand on se re-saisit du transpersonnel qu’on devient capable d’être seul pour agir ».

Aider chacun à se déterminer : du coup, je me demande si le mauvais fonctionnement ou la courte durée d’un certain nombre d’ « équipes » ne serait pas liée au fait qu’on se polarise trop sur la recherche de consensus, avec le risque perçu par certains de voir entamées leur initiative, leur possibilité de choix ; l’idée de gamme, de clavier, de répertoire me semble beaucoup plus riche et plus favorable au développement professionnel de chacun avec son style propre. 

Voilà quelques pierres à l’édifice.

A suivre. 

Pour contribuer au débat, je dépose le lien vers un diaporama que j'avais réalisé pour une formation qu'on m'avait demandé d'animer sur le travail en équipe.  

Le diaporama est consultable et téléchargeable à cette adresse 

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