Mais qu’est-ce qui peut faire changer un établissement ?

Il y a une foule de réponses possibles à cette question, assez pour remplir plusieurs numéros des Cahiers pédagogiques.

Pour moi cependant une réponse l’emporte sur les autres : la direction. Au cours de ma carrière je me suis impliquée dans trois établissements et en tant que formatrice j’en ai visité beaucoup. Ma réponse manque de nuances, mais pas de fondements.

D’abord, la posture dans la relation aux enseignants est essentielle. Dans tous les établissements exercent des professeurs motivés, dynamiques, créatifs, en projets… Mais pour qu’ils le restent il faut que la direction ne décourage pas leurs initiatives : se montrer réceptif aux propositions, faciliter la mise en œuvre des expérimentations, valoriser ces recherches. Nous ne sommes pas naïfs et nous n’attendons pas de reconnaissance financière, mais au moins que l’énergie dépensée au service des jeunes, des collègues et de l’établissement soit reconnue. J’entends souvent les collègues les plus impliqués des établissements dans lesquels j’interviens se lamenter de ce qu’ils appellent « la prime à l’incompétence ou à l’indifférence ». Ils veulent dire que ceux qui s’en tiennent strictement à leur service, sans valeur ajoutée autour, sont les plus tranquilles, ils ne prennent aucun risque et n’encourent aucun reproche. On ne leur demande jamais rien parce qu’on sait qu’ils ne « donneront » rien. D’autres s’épuisent, s’essoufflent, s’usent et finissent par se révolter ou se décourager. Un directeur qui cherche constamment à améliorer le service rendu aux élèves en lisant, en s’informant de l’état de la recherche, en s’extirpant régulièrement du quotidien pour aller réfléchir avec d’autres, ailleurs, ne peut que dynamiser la structure qu’il dirige et être sensible aux efforts des pédagogues en mouvement.

Ensuite les valeurs — non pas énoncées, mais mises en œuvre au quotidien — sont capitales. Je veux dire par là, très simplement : pour qui travaille-t-on avant tout ? Les jeunes qui nous sont confiés, leurs parents, l’institution, l’image de l’établissement, soi-même… Professeurs, élèves et personnels non enseignants doivent se sentir « en sécurité » pour que le climat reste serein malgré les inévitables conflits qui émergent en cours d’année. Le directeur doit être garant que chacun sera écouté, respecté et pris en compte avant toute décision. Dans bien des structures la règle première est « pas de vagues », rien ne doit filtrer à l’extérieur, mieux vaut une grande injustice à un petit désordre et l’on sacrifie des jeunes harcelés, des collègues malmenés, des principes éthiques sur l’autel de la réputation. Tant que les uns et les autres restent essentiellement préoccupés par leur sécurité affective, leur image dans l’institution ou la mise en conformité avec l’idéologie dominante pour éviter les coups bas et ne prendre aucun risque, il ne peut pas œuvrer pour faire évoluer l’établissement.

Je ne sous-estime pas toutes les autres dimensions du changement. Mais pour moi, la posture et les valeurs de la direction sont essentielles pour que le climat permette le changement.

Rebonds 11

Ce qui m'accroche dans ton texte  Nicole c'est comment mettre en oeuvre des valeurs. Comme tu le dis on est tous capable d'avoir un consensus sur les valeurs ; reste à les faire vivre.

 N'aurais-tu pas un (des)  exemples qui illustreraient une de celles que tu cites : l'écoute

"Le directeur doit être garant que chacun sera écouté, respecté et pris en compte avant toute décision." Comment s'y prennent-ils ces  directeurs pour faire vivre cette valeur qu'est l'écoute de l'autre, qui peut se décliner  par "le respect"??  

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Par exemple si un enseignant rencontre des difficultés particulières dans une classe, s'il est choqué par ce qu'il peut avoir observé dans l'établissement, s'il a une suggestion à faire pour essayer de résoudre ce qu'il considère comme un problème... qu'il soit écouté tranquillement dans un lieu qui permette l'échange dans de bonnes conditions, pas entre deux portes, dans les couloirs à la pause... Que des décisions importantes qui le concernent, directement ou non, ne soit pas prises sans qu'il en soit informé, je n'ose pas dire sans qu'il soit consulté mais je le pense.

J'ai souvent dit à des Chefs d'établissements à qui je m'opposais sur certains sujets : "Je ne vous demande pas de me donner raison mais de m'écouter parce que mon investissement dans cet établissement depuis des années m'autorise à donner mon avis. Ensuite vous prendrez la décision finale, c'est votre rôle et je ne le conteste pas. Mais je demande à être entendue."

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Un rituel pour les entretiens

Pour certains enseignants, venir parler à la direction, c'est déjà difficile. La première attention du responsable d'établissement , c'est de voir les signes de souffrance ou de besoin des enseignants. Aller sur leur terrain, sur leur territoire - le couloir, la salle de classe entre deux cours, la salle des professeurs- pour les écouter, parler avec eux de choses et d'autres, pas nécessairement du métier. Une bonne pinte de rigolade autour d'un café, ça facilite les contacts.

Faire savoir très clairement que la porte du bureau du chef est ouverte à ceux qui veulent venir. Un code très vite compris par les personnels : ma porte est ouverte, on peut entrer...Ma porte est fermée, sauf urgence, il ne faut pas entrer, il se dit des choses à ne pas entendre.

Les entretiens avec les enseignants, j'essaye de leur donner un cadre particulier. Après une première discussion rapide pour voir où est le problème ou la demande, je les incite à revenir en prenant rendez-vous : là, je ferme la porte derrière eux et je leur dis que nous prendrons le temps qu'il faudra, une heure si nécessaire.

Je ne  discute pas assise derrière mon bureau, sauf en cas de situation de faute professionnelle. Question de symbole.

Nous nous asseyons autour de la table de réunion, parfois avec un café. Et nous prenons le temps... qu'il faut.

Michèle Amiel

Tu as raison Michèle, il n'est pas facile pour un enseignant de s'adresser à la Direction, surtout si c'est pour exprimer ses difficultés avec une classe. J'ai longtemps plaidé pour la transparence en postulant la bienveillance des collègues et de la Direction et aussi parce que je crois que le meilleur moyen de traiter les problèmes c'est d'y travailler en équipe. Ce qui m'a amenée à bien des déceptions. J'ai fini par admettre qu'il fallait mieux se taire en interne pour ne pas prêter le flanc à la critique. Pour beaucoup de Directeurs il n'y a pas d'élèves ou de classes difficiles, il n'y a que des profs incompétents. Si vous ne trouvez pas la solution tout seul c'est que vous êtes trop jeune et inexpérimenté ou trop vieux et dépassé, si vous n'êtes ni débutant ni près de la retraite, vous êtes simplement incompétent. Dès lors on comprend mieux pourquoi la plupart des enseignants en difficulté se murent dans le silence.

Il est difficile de faire admettre à un Chef d'Etablissement que l'élève qui rencontre le Directeur en tête à tête dans son bureau se comporte tout autrement dans le groupe classe lorsque ses camarades sont spectacteurs de ses passages à l'acte. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on essaie, en cas d'affrontement, de surseoir et de trianguler, c'est-à-dire de traiter le problème à froid (ou à tiède), en dehors du cours, en présence d'un autre adulte... Mais il faut avoir toute confiance dans "l'autre adulte", qu'il soit prof, Directeur ou éducateur... pour être certain qu'il ne jouera pas la démagogie, le copinage avec l'ado, le prof cool contre le "méchant collègue qui ne comprend rien aux jeunes".

D'où l'intérêt des groupes d'analyse des pratiques à l'extérieur de l'établissement. Chaque enseignant peut y trouver une écoute respectueuse, déconnectée des jeux de pouvoirs dans l'établissement, décrypter la situation grâce aux éclairages multiples des participants, envisager des pistes... sans se mettre en danger. C'est encore plus intéressant quand ces groupes sont composés d'enseignants, de psychologues scolaires, de CPE, de Chefs d'Etablissements, de formateurs, d'éducateurs... Cela permet une analyse systémique et une meilleure compréhension des positions des autres partenaires éducatifs.

 

Nicole Bouin Co-organisatrice des rencontres , le 10 Février 2014 à 13:43

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Je me retrouve par défaut dans votre texte, Nicole, car c'est ce que je ne vis pas, et le découragement est là. Dans mon établissement, on essaie de ne froisser personne, de tout mettre à égalité, de n'encourager personne pour ne pas être accusé de favoritisme. Résultat des courses, au bout de trois ans (j'y suis moi depuis trente ans !), les meilleurs collègues font tout pour partir, écoeurés, ayant même le sentiment de trahison pour certains dont je fais partie. Je demande ma mutation, et on ne m'y reprendra pas de sitôt avant de me réinvestir dans un établissement comme je le fis dans celui-ci.

Je suis maintenant convaincu qu'il faut procéder, surtout pour des établissements relativement importants, par "équipe de choc", de gens motivés qui acceptent de se mettre autour d'une table et de se remettre en cause, de devenir force de proposition. Parallèlement à cela, il faut réfléchir à la manière de diffuser, après évaluation, ce qui a fonctionné. c'est un énorme soucis auquel se heurte toutes les pédagogie actives qui n'arrivent pas, dans le second degré, à être reconnues.

C'est ce que mon établissement n'a pas fait. Dommage.

Je comprends votre sentiment de lassitude et votre révolte. Les enseignants ne s'attendent pas à ce que leur investissement soit reconnu financièrement. Nous savons tous que dans l'enseignement, comme dans la formation, on est à l'abri de la fortune ! Mais nous attendons une reconnaissance de notre investissement par l'écoute de nos besoins, la facilitation de nos projets, la prise en compte des effets de notre travail. Nous pouvons toujours nourrir notre énergie de nos réussites avec nos élèves, du bonheur de les voir évoluer positivement, de quelques remarques qui leur échappent "Ah ! c'est déjà fini ?", "On peut continuer pendant la pause ?", "On vous aura encore Madame l'an prochain, hein ?".  

Je suis d'accord avec vous pour la technique de la tache d'huile ou de la boule de neige. On ne peut pas se lancer seul, c'est suicidaire, sur des projets ou des innovations d'envergure mais dès qu'on forme un petit groupe solide il faut foncer et se faire plaisir. On peut aussi travailler en lien avec des équipes d'autres établissements sur certains projets, par exemple des défis lecture. Il faut réussir à diffuser sans forcer, à intriguer sans effrayer, à intéresser sans culpabiliser, à donner envie... On ne touchera jamais tout le monde, tant mieux d'ailleurs, la liberté pédagogique passe par la reconnaisssance des styles d'enseignement différents. Mais on plus de chances de grossir les rangs que de se retrouver isolés.

Régulièrement on entend évoquer la possibilité de prendre en compte l'investissement des enseignants dans les salaires. Proposition très vite contestée par les syndicats et systématiquement enterrée. Cela pose la question de l'évaluation des enseignants. Que prendre en compte ? Les formations suivies, les concours et examens passés, les projets menés, les publications, les résultats des élèves, le temps de présence dans l'établissement, les avis des collègues, des élèves, du Chef d'Etablissement, de l'Inspecteur ? Ensuite cela semble contraire à l'éthique du métier. Ces fonctionnaires qui agissent souvent comme s'ils exerçaient une profession libérale tiennent à être payés comme des fonctionnaires, selon une grille indiciaire étrangère à la réalité de l'engagement sur le terrain.

Nicole Bouin Co-organisatrice des rencontres , le 8 Février 2014 à 09:24

Je comprends moi aussi votre lassitude, Jean Charles.La question est : faut-il continuer à se battre ici, ou aller ailleurs ? Vous semblez avoir choisi. La mutation salvatrice.Quand j'étais en établissement, j'ai aussi rencontré l'attitude déplorable des chefs d'établissements. Nouveaux nommés proviseure et principal, ils mirent beaucoup de soin à tout  changer en arrivant dès septembre, particulièrement par leur attitude. Ils arrivaient avec un lourd bagage : leur réputation à l’un et à l’autre. Nous étions nombreux à raconter ce que nous savions de leurs incompétences professionnelles. À tel point que nous ne savions plus si c’était rumeur ou faits avérés. Incapables d'écoute des projets, que les profs ou les équipes présentaient,  ils firent en sorte, cette année là, que dès décembre nous étions trois à avoir demandé une mutation. J’étais là depuis 24 ans. Il me resta, le plaisir de continuer mes projets avec mes élèves, seule dans ma classe. Mais je partis avec bonheur.En septembre suivant je me retrouvai  dans un collège RAR  pour lequel j’avais postulé. C’est là, dans cette banlieue choc,  qu’à nouveau, après  une année difficile, certes, je retrouvai la plaisir  de travailler avec des collègues, profs et «chef»,    ceux avec qui je partageais un profession, Pourquoi ce récit anecdote ? J’ai envie de dire que parfois pour se sauver soi et les valeurs que l’on porte. Mieux vaut fuir le navire surtout quand il n’en est plus un.

Roxane Caty-Leslé Ex : Conseillère en Développement CARDIE (Centre Académique Recherche Développement des Innovations et Expérimentations) à Lyon , le 8 Février 2014 à 14:47

Le problème n'est pas que personnel : c'est celui de la valeur que l'on donne à sa propre parole. Quand elle ne porte plus, quand elle n'a plus de sens et ne sert plus à grand chose, alors il faut partir. Mais c'est certain que cela va laisser des traces car militant dans des associations pédagogiques ou proche de pédagogies alternatives, comme l'AGSAS, je ne me vois pas ne pas défendre mes idées et mes convictions. J'aurai un peu de temps pour observer, sans parler, et savoir peut-être mieux comment faire.

Merci en tout cas pour les remarques et l'empathie.

PS : AGSAS, association qui développe une technique d'analyse de la pratique remarquable, liant pédagogie et psychanalyse. agsas.fr

Jean-Charles Léon Professeur de musique, Saint-Germain sur Morin (77), le 10 Février 2014 à 18:57

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Bien d'accord avec ces remarques.

Et, à la relecture du titre du fil, le "et" me semble essentiel : les valeurs et la posture . Dans un établissement scolaire nous ne sommes pas tous mis en mouvement par les mêmes convictions ni les mêmes valeurs. Comment - comme chef d'établissement -  arbitrer en cas de conflit de valeurs ? Je me souviens d'une rencontre avec une principale de collège en zone d'éducation prioritaire qui avait en deux années remis en selle un collège en déroute. Au cours de l'échange elle avait évoqué ce qui lui avait été le plus difficile à endosser dans sa fonction de chef d'établissement. Elle le formulait ainsi "il m'a fallu mettre en veilleuse mes sympathies syndicales parce que les élèves et l'établissement avaient besoin de la mobilisation de tous les acteurs, pas seulement de ceux dont je me sentais le plus proche idéologiquement". Cette remarque m'avait beaucoup donné à penser !

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Je partage entièrement cette analyse: je dirais aussi que c'est une EQUIPE de direction qui doit fonctionner ainsi:

Si on veut que les professeurs soient au service des élèves, il est primordial que la direction de l'ett soit au service des enseignants, par un travail collégial qui permette de l'energie et des échanges.

Les professeurs ne manquent pas d'idées, c'est toujours ds les détails que se logent les difficultés, et ces détails c'est dans la mise en pratique des idées qu'ils se rencontrent.

Voilà ce qui éviterait le découragement de beaucoup: il faudrait faire moins de choses et mieux les faire pour en tirer une satisfaction.

"Les professeurs ne manquent pas d'idées, c'est toujours ds les détails que se logent les difficultés, et ces détails c'est dans la mise en pratique des idées qu'ils se rencontrent."dites vous cécile

Cécile pourriez vous illustrer votre propos en décrivant ce que vous voulez dire ci-dessus ; pourriez vous décrire très concrètement, donner un exemple, celui que vous vivez.

Ce qui nous manque souvent à nous enseignants c'est de savoir des faits précis de ce que les autres vivent.

Roxane Caty-Leslé Ex : Conseillère en Développement CARDIE (Centre Académique Recherche Développement des Innovations et Expérimentations) à Lyon , le 28 Mai 2014 à 08:31

Un exemple tout simple: l'accompagnement personnalisé:

  prendre du temps avec chaque élève pour l'aider à se prendre en charge: voilà une bonne idée

mais l'application concrète se heurte à des détails difficiles: taille du groupe ( 17 élèves!) .. manque de coordination avec les collègues pour que cette démarche soit suivie.. manque d'outils  pédagogiques pour cette démarche.. 

 Finalement mon proviseur m'a dit que si je veux le faire, je dois donner de mon temps libre, en plus de mes heures, pour le faire…c'est à dire 1) faire des recherches pour voir ce qui existe comme outils précis ( ex: les 7 profils d'apprentissage de JF Michel) 2) organiser des réunions  avec des collègues  en dehors du temps de travail 3) passer beaucoup de temps pour convaincre les collègues sans savoir si l'an prochain ce travail sera utile car je ne serai peut être plus dans leur équipe..

 donc finalement accompagnement personnalisé: excellente idée mais application concrète, dans les détails, quasi impossible!! si le chef d'établissement ne met pas une TRES forte volonté pour que cela existe..

ai je répondu à votre demande de précision?   cécile

 

cécile SALVANES professeur de SES, le 29 Mai 2014 à 16:29

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