Le travail à la maison est une question qui me pose problème depuis longtemps et je ne suis pas politiquement correcte, je le sais bien. En LP, on en est venu à dire que tout doit se faire en cours de façon à ce que les jeunes progressent, alors qu’on sait que la plupart d’entre eux n’ouvrent pas le sac à dos qui sert de cartable entre deux cours. C’est largement faisable dans mes matières (lettres histoire géographie instruction civique). Il suffit de construire les cours de façon à ce que la répétition des notions essentielles et les travaux proposés les préparent suffisamment aux épreuves ponctuelles en BEP et bac pro. En CAP c’est encore plus facile puisque ce sont des CCF. Mon directeur nous répète sans cesse qu’autrefois les élèves n’avaient pas de travail à la maison, ou plutôt qu’il était fait en étude surveillée et que les apprentissages doivent se faire en cours.

La question que ça me pose, c’est que la plupart d’entre eux envisagent une passerelle vers les filières technologiques ou une poursuite d’études en BTS, voire au-delà en IUT... La plupart en sont capables intellectuellement, leur handicap, ce sont les faibles capacités de travail autonome. Or, en acceptant qu’ils ne fassent absolument rien chez eux, on les condamne à s’arrêter au bac pro. Par ailleurs il me semble que leur apprendre à s’approprier solidement ce qui a été compris en cours est un bon entrainement pour leur future vie professionnelle (et même personnelle) dans laquelle ils devront se former en permanence et acquérir de nouvelles connaissances et compétences.

Je pense que l’on creuse les inégalités en demandant énormément de travail personnel aux lycéens et rien aux lycéens professionnels, et que l’absence d’exigence n’est pas une preuve de respect ou de bienveillance. La plupart de nos élèves n’apprennent pas leurs cours, ils n’écrivent d’ailleurs rien dans l’agenda quand on annonce « revoyez le cours ». Seul le travail écrit est pris en compte parce qu’il peut être vérifié. Donner un petit travail écrit est donc souvent le seul moyen de les obliger à ouvrir le cours.

C’est pourquoi j’ai continué à donner du travail personnel à la maison en m’imposant des règles strictes :

  • Ne donner que des travaux d’application du cours pour en vérifier la compréhension, de recherches faciles en donnant des pistes... rien en tout cas qui nécessite une aide familiale ou extérieure. Par contre on peut encourager le travail en groupe, en particulier pour les internes.
  • Fournir toujours les différentes méthodes qui permettent d’assimiler en fonction des profils cognitifs et les objectifs avec précision (de moins en moins de précision au cours des trois années pour favoriser un désatayage progressif) : vous devrez être capables de définir tels mots, de refaire seul tel exercice, d’expliquer tel mécanisme, de répondre à telle question...
  • Y aller progressivement et donner peu de travaux écrits : des exercices très courts, un devoir par demi-trimestre en seconde pro, deux en 1re et un toutes les trois semaines en Terminale.
  • Proposer beaucoup de travaux facultatifs très variés (les élèves peuvent aussi en suggérer eux-mêmes, en groupes parfois), ces travaux augmentant la moyenne ou remplaçant une mauvaise note. Eh oui toujours les notes... mais je prends aussi en compte les travaux facultatifs dans la classe évaluée par compétences : « Se montrer autonome dans l’organisation de son travail personnel et s’imposer des exercices nécessaires à l’appropriation des savoirs ».
  • Toujours proposer un moyen d’augmenter sa note par la correction après une remédiation ciblée pour le cas où le premier résultat serait décevant (j’appelle ça l’évaluation dynamique).

La plupart des élèves finissent par entrer dans le jeu, d’abord par stratégie, pour améliorer la moyenne, peu à peu parce qu’ils réalisent qu’ils en ont besoin pour stabiliser les acquis du cours, vérifier qu’ils ont bien compris ce qu’ils pensaient avoir compris. Cela n’empêche pas les autres de réussir le bac pro et d’entrer dans la vie active ensuite. C’est un choix que je résume souvent par l’expression désuète : « On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. »