J’ai bien aimé l’alerte d’Anne Barrère sur l’éventuelle « face sombre » du changement et sur la vigilance à développer pour ne pas tomber dans le piège de considérer à priori tout changement comme positif. Avoir cette vigilance ne conduit pas pour autant à un repli frileux. Question d’équilibre !

L’image de la marche pourrait inviter à avancer en situation d’équilibre instable. Changer c’est accepter ce mouvement de recherche d’équilibre  qui nous conduit à ajuster notre propre positionnement aux fluctuations de l’environnement sans y perdre notre âme !  François Muller  aime dire — en évoquant la résistance au changement dans l’institution scolaire — « C’est comme la tectonique des plaques : moins ça bouge plus ça va craquer… »  Ne devenons-nous pas plus vulnérables dès que nous cherchons à nous maintenir dans une position définitive de stabilité ?   Les organisations ne se fragilisent-elles pas si leurs équipes dirigeantes croient avoir trouvé dans le maintien de la structure l’équilibre et la stabilité ? « le meilleur moyen de ne pas se retrouver en déséquilibre, c’est de se mettre soi-même en équilibre instable et donc d’être constamment en recherche d’équilibre et en situation d’apprentissage »

La recherche constante d’équilibre pourrait être une situation très inconfortable et fragilisante. Elle peut être féconde  si elle est pensée comme un « déséquilibre dynamique » orienté vers un projet, une vision d’avenir, la participation à la réalisation d’un bien commun. Comme l’exprime Edgar Morin  l’un des défis du XXIe siècle consiste à « affronter les incertitudes » : « Les siècles précédents – nous dit-il – ont toujours cru en un futur soit répétitif, soit progressif. Le XXe siècle a découvert la perte du futur c’est-à-dire son imprédictibilité ». Faut-il pour autant se démobiliser ? Non, nous dit encore Morin : « Il importe d’être réaliste au sens complexe : comprendre l’incertitude du réel, savoir qu’il y a du possible encore invisible dans le réel ». C’est bien ce possible souhaité qu’il s’agit de travailler à faire advenir… Sans doute que cela passe tantôt par le changement, tantôt par la résistance à certains changements selon les enjeux ou les visées poursuivies.

Mais le refus de changement érigé comme système conduit souvent à l’immobilisme, la raideur, l’ancrage dans des routines, des habitudes. Dans ce cas il ne s’agit plus de permanence ou de constance, mais de frilosité, de peur de perdre son identité en bougeant, de rigidité qui se manifestent d’autant plus que tout bouge autour. La vie semble s’arrêter. C’est la fossilisation, la nécrose, si tout est en mouvement autour, celui qui refuse obstinément de bouger se sclérose, se rétracte, s’empêche d’exister. Le vivant est par essence mouvement, déplacement, transformation. S’arcbouter sur de la préservation, de la conservation, c’est se momifier, se statufier, perdre son flux vital, ses forces créatrices, son imagination, son inventivité…

Entre le bougisme et la nécrose, sans doute y a-t-il une place pour des formes d’un changement « relayé à une compréhension collective de ses bienfaits, qui seule le transforme en “progrès” » comme  y invite Anne Barrère. Mais il faut pour cela — on y revient toujours — que les acteurs disposent (se donnent les moyens ?) de temps, lieux, espaces de construction de cette « compréhension collective »