Lors de la table ronde de la présentation de ce Cahier N° 509, le 11 janvier, au CRDP de Lyon, une question sera posée aux participants et à la salle. Comment faire pour que le changement perdure ?

C’est une des préoccupations essentielles que l’on rencontre quand on travaille avec une équipe, soit en tant qu’accompagnatrice, ou en tant qu’acteur de l’équipe.

Le personnel bouge par les mutations d’enseignants, de personnel de direction… de nouveaux élèves arrivent... la lassitude s’installe... Le changement c’est un parcours, c’est un processus et non pas un produit fini ; c’est une suite d’actions évolutives au gré des autoévaluations successives formelles ou informelles que l’on en fait. Ce qui me semble primordial dans ce processus c’est de laisser la place, c’est de penser à l’Après.

Souvent, lors des accompagnements d’équipes, j’ai rencontré des profs, des chefs d’établissement, des initiateurs de projet, qui passionnés imprégnés et préoccupés par les actions, ne savaient pas déléguer. Ils voulaient tout faire, tout régenter s’arrogeant le statut irréversible de « géniteur ». En un mot qui ne savaient « passer le bébé. » Au moment de leur départ, ils se trouvaient souvent fort désappointés : « Comment continuer ? Qui prend le relai ? Tout ça pour rien ? » C’est pourquoi il faut penser tout au long de ce processus au partage des tâches, des responsabilités à la délégation, au relai, au tuilage.

Et vous comment pourriez vous répondre à cette question ?

Rebonds 2

Faire perdurer le changement, c'est un enjeu de fond. Car le turn-over des personnels, et notamment de la direction, est trop important dans notre système scolaire pour garantir que les modifications conduites s'inscrivent durablement dans le temps et dans les pratiques.

Une porte d'entrée intéressante est de faire reposer les projets innovants menés en partie sur des partenariats extérieurs, afin de ne pas les laisser entre les seules mains de l'équipe pédagogique et de l'équipe de direction (qui change d'ailleurs en moyenne tous les 4 à 5 ans...). Cet appel aux partenariats extérieurs permet de faire entrer un tiers aux logiques souvent différentes. Le(s) partenaire(s) choisi(s) va (vont) ainsi, paradoxalement, servir de garants à la pérennité d'un projet.

Il convient alors de conventionner avec ce partenaire, de voter cette convention en Conseil d'administration, et d'inscrire d'une certaine façon dans le marbre une démarche innovante. Certes, ce n'est pas une garantie totale, mais la démarche officialise les choses et facilite la bonne poursuite des projets en cours.

Comment faire perdurer le changement ?

Un retour en arrière (quand j’étais en activité professionnelle, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui)  me conduit à deux ou trois éléments de réponse à ta question, Roxane.

D’abord, ne gagne-t-on pas à aborder le changement en se donnant la liberté de le remettre en cause si, chemin faisant, les effets escomptés ne semblent pas concluants ? On a tous été témoins de projets qui vont dans le mur par aveuglement et entêtement de ceux qui le mettent en œuvre, parfois pris dans une frénésie de mouvement dont le cap n’est pas toujours clairement identifié et maîtrisé. Et pour se prémunir contre cette dérive sans doute y a-t-il intérêt à conjuguer auto-évaluation et évaluation externe . En effet , l’auto-évaluation, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante. Tout acteur impliqué dans l’action a ses cécités et ses surdités. L’action collective militante n’est pas épargnée, bien au contraire : il est de solides aveuglements collectifs.Dans « les savoirs nécessaires à l’éducation du futur » Edgar Morin met bien en évidence cette logique :  « L’égocentrisme entretient la self-deception, tromperie à l’égard de soi-même, engendrée par l’auto-justification, l’auto-glorification et la tendance à rejeter sur autrui, étranger ou non, la cause de tous maux. La self-deception est un jeu rotatif complexe de mensonge, sincérité, conviction, duplicité qui nous conduit à percevoir de façon péjorative les paroles ou actes d’autrui, à sélectionner ce qui leur est défavorable, à éliminer ce qui leur est favorable, à sélectionner nos souvenirs gratifiants, à éliminer ou transformer les déshonorants. »

Un projet innovant gagne donc à se confronter à la position de « l’ami critique » ( cf. les travaux d’Anne Jorro) et à une évaluation externe, sinon il peut facilement basculer dans l’auto-suffisance, l’auto-satisfacion, l’auto-référence.

C’est bien, semble-t-il – au vu des échos de la journée du 11 janvier à Lyon -  ce souci d’entendre les « amis critiques » qui a été encouragé par Alain Bouvier.

Et cette évaluation externe gagne à ne pas être pensée uniquement a posteriori. On a intérêt, au contraire de se donner une référence a priori qui servira d’arbitrage et d’outil de pilotage pour ajuster les stratégies à l’œuvre et garder le cap des objectifs visés, en explicitant les critères et indicateurs à partir desquels sera examinée la qualité du projet à l’œuvre.

Ce qui invite à allumer un clignotant : une action qui s’engage de façon aveugle, sans qu’ait été pris en amont un temps suffisant de constructions d’accords, de compromis (cf. les travaux de Boltanski et Thévenot, ou encore de Jean-Louis Derouët), s’expose à être parasitée dans un court délai par le retour de résistances de ceux qui ne se sentiront pas solidaires de cette action. Et c’est peut-être là que réside l’une des réponses à la question « comment faire perdurer le changement ?

Toutefois la vigilance à rationaliser l’action a priori ne doit pas pour autant couper l’herbe sous le pied aux actions pionnières qui, sans doute, relèvent parfois d’une autre logique : « les processus d'innovation réussis sont le résultat d'une transgression au moins relative, des missions envisagées initialement et cette conduite est une source d'efficacité inattendue » (Norbert ALTER, )

Une ligne de crête à tenir pour les pilotes : à la fois laisser émerger ces actions pionnières, spontanées qui répondent à des changements souhaités. Mais veiller à ce qu’elles conservent un rôle d’impulsion et de mise en mouvement de l’ensemble et ne versent pas dans un  isolement qui, à terme, serait mortifère. Car une démarche qui vise l’efficacité ne peut pas être le fait de quelques-uns, elle ne peut être que collective tant les effets de système ont une importance majeure.

Je continue à être interpellée par cette citation , mise par Alain Bouvier en exergue du chapitre 2 de son ouvrage « L’établissement scolaire apprenant » paru en 2002 : « Si vous opposez une personne performante à un système déficient, le système gagnera à tous les coups » Mary I. Broad. 

 
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